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Logistique, hygiène… : ces « invisibles » qui font tourner les hôpitaux


Les blanchisseries, par exemple, tournent à une cadence effrénée pour fournir du linge désinfecté. (photo AFP)

« Sans ses invisibles, l’hôpital ne tournerait pas ! » : formant la « deuxième ligne » indispensable au travail des soignants, des dizaines de milliers d’agents des services logistique, hygiène, restauration, ou laboratoires, sont aussi « mis à rude épreuve » par l’afflux de malades et le manque de matériel.

« Quand on parle d’hôpital, on pense immédiatement aux soignants qui abattent un boulot extraordinaire. Mais peu de gens imaginent ce qui se passe derrière, tout le dispositif mis en place pour les appuyer ! », lance Philippe, 48 ans et agent logistique dans un hôpital du Pas-de-Calais, s’exprimant sous un nom d’emprunt comme la plupart des agents interrogés.

Dans les entrailles de l’hôpital, « ces dernières semaines ont été intenses », raconte-t-il. Car pour isoler les malades atteints de Covid-19, « il a fallu déménager des services entiers, très vite et avec les moyens du bord ». Au magasin central, qui gère notamment les produits d’hygiène, « certaines commandes ont été multipliées par trois » et la fatigue s’accumule. « Mais le plus difficile, c’est les pénuries… Devoir dire à un cadre infirmier : non, je ne peux pas vous livrer de masques, je n’en ai pas assez », déplore ce manutentionnaire.

« Le coronavirus bouleverse le quotidien de tout l’hôpital ! », commente aussi Fabrice, salarié depuis vingt ans du « service intérieur » du CHU de Lille. Chargé de l’hygiène des parties communes, il a dû délaisser certaines missions pour « désinfecter cinq fois plus les rampes d’escalier, ascenseurs et couloirs empruntés par les patients Covid ». « Des collègues évacuent eux les draps, vêtements et déchets contaminés », via un circuit particulier, « sans quoi le virus se répandrait partout ! »

Sans la solidarité, « on coulerait »

Pour « décontaminer le linge », la blanchisserie a été contrainte de constituer une équipe de 12 volontaires, équipés de « combinaisons, masques et lunettes », d’acheter une nouvelle machine et d’étendre largement l’amplitude horaire, relate Valérie Pasquier, déléguée CGT du service. Mais alors que « les soignants commencent à manquer de tenues à usage unique », la cadence « risque encore d’augmenter ».

« Sans l’énorme solidarité en interne, on coulerait », estime Sylvain Lepoutre, technicien de laboratoire venu renforcer le secteur virologie au CHU de Lille, désormais « ouvert 7 jours sur 7 et même la nuit » pour « effectuer le plus vite possible » les quelque 400 tests de dépistage quotidiens « indispensables aux services de soins ».

Même en deuxième ligne, « l’atmosphère est anxiogène », assure Valérie Pasquier, rapportant « plusieurs arrêts maladie liés aux risques psycho-sociaux ». Et « les masques sont difficiles à trouver, particulièrement pour les agents qui habituellement n’en mettaient pas ! », renchérit Fabrice, lui-même inquiet en raison de son diabète.

Au centre de radiologie, qui multiplie les radios thoraciques, IRM et scanners de patients infectés, « les protocoles ne prévoient pas de masques FFP2, car nos gestes ne sont pas considérés comme invasifs. Pourtant, on doit parfois soulever le patient, s’approcher très près », pointe une manipulatrice. « Récemment, les personnels chargés de la vaisselle ont fait valoir un droit de retrait, jusqu’à ce que la direction leur fournisse des équipements de protection et des assiettes et couverts jetables », rapporte un agent du service restauration.

« Les oubliés de l’hôpital »

« J’angoisse tellement que je ne dors plus », s’étrangle Aïcha, agent de service hospitalier à l’hôpital d’Amiens et chargée du ménage des « chambres Covid », « pour 1 300 euros par mois après 20 ans de service ». Face à ce virus, « il faut désinfecter chaque recoin, même les murs. Une fois chez moi, je me lave et je recommence, je décape tout… J’ai trop peur de contaminer mes enfants », lâche-t-elle dans un sanglot, réclamant un « suivi psychologique pour les oubliés de l’hôpital ». « Mais arrêter est inenvisageable, les patients ont besoin de nous ».

« Plusieurs collègues ont des symptômes, mais ils mettent un masque et retournent travailler. Car si on s’arrête tous, l’hôpital ferme ses portes! », lance Didier Suffys, brancardier à Lille. Soignants ou personnels de l’ombre, « tous sont les maillons essentiels d’une chaîne » qui « souffre depuis des années du manque de moyens », conclut Philippe, citant encore « la morgue et l’administration ».

« Le jour d’après, il ne faudra pas oublier tout ce qu’on a vécu pendant cette crise ».

LQ/AFP