Une stratégie « constructive-destructive » : l’extrême droite allemande s’évertue, à l’image de ce qu’elle a réalisé en Thuringe, à paralyser le système des partis traditionnels et à recomposer le paysage politique.
« Il est tout à fait clair qu’ils veulent détruire la démocratie (…) qu’ils veulent la miner », a lancé mardi dans des termes inhabituellement durs Angela Merkel devant ses députés réunis à huis clos, selon des propos rapportés par les médias allemands.
L’onde de choc de l’élection, il y a une semaine, d’un président de région libéral grâce à une alliance entre élus de la droite modérée de la chancelière et de l’extrême droite – un tabou dans l’histoire récente allemande – continue de se propager. Même si le candidat du parti libéral FDP Thomas Kemmerich a finalement renoncé, face au tollé, à diriger la Thuringe, cette région d’ex-RDA reste dépourvue de direction. Et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), forte de son coup d’éclat, menace désormais de tout bloquer. Elle veut porter ses voix sur le seul candidat alternatif susceptible aujourd’hui d’être élu pour présider cette région enclavée de l’ex-RDA, le dirigeant sortant Bodo Ramelow, membre de la gauche radicale. L’AfD entend ainsi l’obliger à son tour à renoncer et entraîner une paralysie des institutions régionales.
La situation est telle qu’Angela Merkel a dû rompre depuis une semaine avec sa prudence habituelle pour lancer de sévère mise en garde : pas question d’alliance avec l’AfD, prête à tous « les stratagèmes ». En Thuringe, le parti anti-migrants et anti-élite a fait mine de présenter un candidat pour finalement voter pour celui du FDP et déclencher la crise.
Au plan national les dégâts politiques sont déjà énormes. « Deux chefs de parti ont échoué en peu de temps, principalement à cause de l’AfD », résume mercredi le Spiegel. Angela Merkel, qui prendra sa retraite politique au plus tard fin 2021, a en effet quitté ses fonctions de présidente du parti de droite CDU fin 2018 après une série de mauvais résultats électoraux en ex-RDA, bastion de l’AfD. Quant à sa dauphine désignée, Annegret Kramp-Karrenbauer, elle a jeté l’éponge lundi après qu’une partie de ses troupes en Thuringe a piétiné sa consigne de ne jamais joindre leur voix à celles de l’extrême droite.
Tous les scénarios possibles
Sans dépasser les 15% à l’échelon fédéral dans les sondages, l’AfD est ainsi en passe, au moins à l’Est, de devenir « la force motrice » du paysage politique allemand et plonge les autres formations, bien plus anciennes qu’elle, dans l' »insécurité », affirme le Spiegel. Tous les scénarios sont désormais possibles, y compris celui d’élections anticipées, alors que la politique allemande depuis la guerre s’est surtout distinguée jusqu’ici par sa grande prévisibilité.
Cette stratégie de l’AfD, baptisée « constructive-destructive » par Götz Kubischek, un des idéologues de l’extrême droite, consiste à « installer quelqu’un sur le trône à Erfurt qui sera déboulonné par Berlin » et ainsi paralyser le jeu démocratique. La droite conservatrice, toujours en tête dans les sondages nationaux mais désormais talonnée par les Verts, en est la principale victime. Annegret Kramp-Karrenbauer a justifié son retrait par la tentation d’une frange de son parti de coopérer avec l’AfD.
Le mouvement est en effet de plus en plus tiraillé entre adversaires et partisans d’une coopération avec la droite radicale, notamment dans l’ex-RDA où cette dernière est très forte et complique la formation de majorités. L’AfD sème le trouble « en violant les règles et les normes qui déterminent la culture politique démocratique » depuis des décennies, selon le politologue Gero Neugebauer. Mais si cette stratégie est efficace à court terme, elle ne permet pas à ce stade à cette formation d’obtenir des scores susceptibles de pousser les « autres partis à abandonner leur position actuelle » et à envisager des alliances, explique ce chercheur à l’Université libre de Berlin.
Le départ d' »AKK » ouvre en outre la voie à l’avènement de dirigeants comme Friedrich Merz ou Jens Spahn, des conservateurs assumés plus à même, selon Gero Neugebauer, de « mobiliser les anciens électeurs de la CDU/CSU » qui ont basculé dans l’abstention voire le vote d’extrême droite.
LQ/AFP