L’ancien chancelier Helmut Kohl est mort vendredi à 87 ans. Il restera dans l’histoire mondiale comme le père de l’Allemagne réunifiée, l’imposant en quelques mois aux grandes puissances et la plaçant au cœur du projet européen.
Malade et affaibli depuis plusieurs années, il s’est éteint dans sa maison de Ludwigshafen (sud-ouest), écrit le journal Bild, très proche de celui qui détient le record de longévité à la chancellerie allemande (1982-1998) depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.
« Avec Helmut Kohl, un grand homme d’État nous quitte, qui a beaucoup œuvré pour l’Allemagne et l’Europe », a twitté en allemand le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel.
Mit Helmut Kohl verlässt uns ein großer Staatsmann der viel für Deutschland und Europa geleistet hat.
Beileid an seine Familie und Freunde.— Xavier Bettel (@Xavier_Bettel) 16 juin 2017
Jean-Claude Juncker a quant à lui indiqué que les drapeaux européens avaient été mis en berne en son honneur à Bruxelles. « La mort de Helmut m’attriste profondément. Je suis fier de l’avoir connu. Que l’Europe retrouve sa patience, sa détermination, son courage », a twitté le président de la Commission, saluant son « mentor », son « ami », « l’essence même de l’Europe ». « Il m’a guidé et accompagné sur toutes les routes européennes. »
Ich bin in großer Trauer über den Tod von Helmut Kohl, meinem engen Freund. Er hat mich auf allen europäischen Wegen geleitet und begleitet. pic.twitter.com/0QdGsbZHlg
— Jean-Claude Juncker (@JunckerEU) 16 juin 2017
Quand à 52 ans Helmut Kohl prend la tête, en 1982, du gouvernement de l’Allemagne de l’Ouest à la faveur d’un changement d’alliance au Parlement, il est encore l’objet de railleries pour son côté rustique et provincial et personne n’aurait parié que ce fils d’un fonctionnaire du fisc issu d’une famille de la petite bourgeoisie de Ludwigshafen entre dans la mémoire collective européenne.
Mais le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’effondre subitement et le chancelier conservateur, alors contesté dans son propre parti (CDU), endosse, pour reprendre ses propres termes, « le manteau de l’Histoire ». Et il va vite. Ce catholique pratiquant surprend en proposant dès le 28 novembre un plan en 10 points devant conduire à l’unification allemande.
« Nous sommes un peuple »
Dans les mois qui suivent l’automne 1989 et la chute des régimes communistes européens, il parvient en usant à la fois de sa bonhomie et de fermeté à obtenir du dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev qu’il retire d’Allemagne l’Armée soviétique. Il convainc aussi ses alliés américain, français et britannique inquiets à la perspective d’avoir de nouveau une grande Allemagne au coeur du continent. « Avec la simplicité de ses pensées, Kohl a authentifié le caractère inoffensif de son pays », estime Jürgen Busche, un de ses biographes.
Dans ses mémoires, il écrira s’être forgé sa conviction lorsque dans les rues d’Allemagne de l’Est le slogan des protestataires « Nous sommes le peuple » s’est mué en « Nous sommes un peuple ».
Cette ambition se réalise le 3 octobre 1990 : l’Allemagne est de nouveau une. « Helmut la poire », son surnom moqueur tiré de sa silhouette, s’impose alors comme « l’un des plus grands leaders de l’Europe d’après-guerre », résume George Bush père. Passée l’euphorie, Helmut Kohl doit faire face au défi d’intégrer une ex-RDA à l’économie ruinée et sans expérience de la démocratie. La facture de la réunification prend des proportions énormes, 100 milliards d’euros au total, selon une étude de l’université libre de Berlin de 2009.
Les difficultés économiques joueront un rôle non négligeable dans sa défaite électorale en 1998 face au social-démocrate Gerhard Schröder. « Retarder l’unification aurait eu un coût politique et économique beaucoup plus lourd que le fardeau financier que nous avons accepté de porter avec la réunification accélérée », martelait-il néanmoins en 1996.
À la suite de l’unification allemande, ce géant de 1m93 et au poids classé « secret d’Etat », qui raffolait de la panse d’estomac de porc farcie de son Palatinat natal, s’est aussi assuré une place de choix parmi les symboles de l’intégration européenne. « L’unité de l’Allemagne et celle de l’Europe ne sont que les deux faces d’une (même) médaille », plaidait-il. Fervent partisan de l’extension à l’est du projet européen, il est aussi avec son ami le président français François Mitterrand l’architecte du nouveau visage de l’Union européenne avec le Traité de Maastricht (1992) et l’introduction de l’euro, actée en 1999.
Caisses noires
En 1984, l’image des deux hommes se tenant par la main sur l’ancien champ de bataille de Verdun pour le 70e anniversaire du déclenchement de la Première guerre mondiale était devenue un symbole d’une Europe pacifiée. La construction européenne et le moteur franco-allemand comptaient d’autant plus pour Helmut Kohl qu’il était né dans une Rhénanie meurtrie par les combats entre les deux pays.
La fin de sa carrière a cependant été ternie par le scandale des caisses noires de son parti. Il finira par reconnaîtra avoir recueilli pour la CDU des dons occultes. Angela Merkel, qui avait appris la politique dans son ombre, profita de l’épisode pour l’évincer. Selon une biographie non-autorisée, il n’a guère pardonné à la chancelière, disant qu’avant de le rencontrer elle « ne savait même pas manger avec un couteau et une fourchette ».
Plus récemment, en avril 2016, Kohl a dénoncé la politique d’accueil de Mme Merkel qui permit l’arrivée de 1,1 million de migrants en 2015. Il reçut aussi Viktor Orban, Premier ministre hongrois et farouche détracteur de la chancelière.
Retiré de la vie publique depuis 2002, l’ancien chancelier est néanmoins resté assez discret notamment en raison de lourds problèmes de santé : en 2009, alors qu’il était déjà cloué dans un fauteuil roulant depuis une fracture de la hanche, un accident vasculaire cérébral lui avait paralysé le bas du visage et rendu l’élocution difficile.
Les soubresauts de sa vie privée, étalés dans divers livres et journaux allemands – brouilles avec ses enfants, polémique sur le rôle de sa nouvelle femme, la manière dont il a traité sa première épouse malade, Hannelore, qui s’est suicidée en 2001 – ont achevé d’assombrir ses dernières années.
Le Quotidien / AFP