Les talibans fêtent mardi leur victoire en Afghanistan après le départ dans la nuit des derniers soldats américains, qui met fin à 20 ans d’une guerre dévastatrice et ouvre un nouveau chapitre rempli d’incertitudes pour le pays.
Des coups de feu victorieux ont éclaté à Kaboul à l’annonce du retrait final de l’armée américaine, salué comme un succès « historique » par les talibans, revenus au pouvoir le 15 août. Les Américains étaient entrés en Afghanistan en 2001, à la tête d’une coalition internationale, pour chasser du pouvoir les talibans en raison de leur refus de livrer le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
« Félicitations à l’Afghanistan (…) Cette victoire est la nôtre à tous », a déclaré mardi matin le principal porte-parole taliban, Zabihullah Mujahid, à l’aéroport de Kaboul, dont les islamistes avaient pris le contrôle total quelques heures plus tôt. « C’est une grande leçon pour d’autres envahisseurs et pour notre future génération », et « c’est aussi une leçon pour le monde », a-t-il estimé. « C’est un jour historique, c’est un moment historique et nous en sommes fiers ».
Après deux semaines d’opérations d’évacuations précipitées, voire chaotiques, le dernier avion de transport militaire C-17 a décollé de l’aéroport de Kaboul lundi à 19H29 GMT, juste avant minuit à Kaboul, a déclaré à Washington le général Kenneth McKenzie, qui dirige le commandement central américain dont dépend l’Afghanistan.
Le retrait militaire des Etats-Unis s’est donc achevé 24 heures avant la date butoir fixée par le président américain Joe Biden, pour lequel cette journée gardera un goût amer. Il doit s’adresser mardi à ses concitoyens, nombreux à se demander à quoi auront finalement servi ces deux décennies d’engagement en Afghanistan.
Même si l’objectif de supprimer Oussama Ben Laden avait été tenu dès le 2 mai 2011, lorsqu’il a été tué par les forces spéciales américaines au Pakistan, les États-Unis sont restés en Afghanistan, notamment pour former une armée afghane qui s’effondrera finalement face aux talibans. Le président Biden a maintes fois justifié sa décision de retirer les troupes américaines par son refus de faire perdurer plus longtemps cette guerre.
Au total, les États-Unis déplorent quelque 2.500 morts et une facture de 2.313 milliards de dollars en 20 ans, selon une étude de la Brown University. Ils ressortent de cette guerre avec une image encore plus écornée par leur incapacité à prévoir la rapidité de la victoire talibane et par leur gestion des évacuations.
123.000 personnes évacuées
Depuis le 14 août, sur une période de 18 jours, les avions des États-Unis et de leurs alliés ont évacué par un gigantesque pont aérien plus de 123.000 civils de l’aéroport international Hamid Karzaï de Kaboul, selon le Pentagone. Le retour des islamistes au pouvoir avait obligé les Occidentaux à évacuer leur ressortissants, mais aussi les Afghans susceptibles de subir des représailles, notamment pour avoir travaillé pour les forces étrangères.
Le Pentagone a reconnu lundi n’avoir pas pu faire sortir d’Afghanistan autant de personnes que voulu. De vives critiques de l’opposition républicaine ont suivi l’annonce de cet échec. Le président Biden a abandonné « des Américains à la merci de terroristes », a ainsi déclaré le chef des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy.
Ces opérations risquées ont été endeuillées le 26 août par un attentat-suicide, revendiqué par le groupe jihadiste État islamique au Khorasan (EI-K), qui a fait plus d’une centaine de morts, dont 13 soldats américains. Ennemi juré des talibans, l’EI-K pourrait continuer à constituer une menace et mener des attentats dans le pays. L’urgence dans laquelle s’est opéré le retrait américain s’explique par le fait que les talibans ont pris de court l’Occident par une offensive éclair pour reprendre possession de l’Afghanistan.
Le gouvernement central et l’armée régulière du pays, instable depuis des décennies, se sont effondrés en une dizaine de jours. Kaboul est tombée le 15 août. Washington a admis ne pas avoir anticipé cette débâcle. Les Etats-Unis continueront à « aider » tous les Américains qui veulent quitter l’Afghanistan, a assuré lundi soir le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et « travailleront » avec les talibans s’ils tiennent leurs engagements. « Les talibans veulent la légitimité et le soutien internationaux. Notre message est que la légitimité et le soutien doivent se mériter ».
Crainte d’un retour en arrière
De 100 à 200 Américains seraient encore en Afghanistan, selon M. Blinken, qui a annoncé un transfert à Doha, au Qatar, des activités diplomatiques et consulaires de l’ambassade des États-Unis à Kaboul. Comme le reste du monde, Washington regardera attentivement dans les prochains jours quelle attitude les talibans vont adopter concernant l’aéroport.
Mardi matin, les islamistes avaient enlevé tous les barrages menant à l’aéroport sauf un. Sur la route, leurs combattants ne cachaient pas leur joie, souriant et serrant les mains des chauffeurs et passagers, a constaté un journaliste de l’AFP. Lors de leur précédent passage au pouvoir entre 1996 et 2001, les talibans avaient imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier, voleurs et meurtriers encouraient de terribles châtiments. Ils se sont efforcés depuis leur retour au pouvoir d’afficher une image d’ouverture et de modération, qui laisse néanmoins sceptiques de nombreux pays et observateurs.
« Nous voulons avoir de bonnes relations avec les États-Unis et le monde », a promis mardi leur porte-parole, Zabihullah Mujahid. Beaucoup d’Afghans et d’Occidentaux craignent un retour en arrière sur la libéralisation de la société observée ces 20 dernières années, notamment pour ce qui concerne le rôle des femmes, lesquelles ont accédé à l’éducation, sont entrées en politique ou dans les médias.
Un meilleur accès à l’eau potable ou la baisse de la mortalité infantile figurent aussi parmi les acquis des deux décennies écoulées que les talibans devront préserver. Les islamistes ont promis de ne pas se venger des personnes ayant travaillé pour l’administration précédente. Ils ont aussi assuré qu’ils oeuvreraient à la formation d’un gouvernement ouvert à d’autres factions et attendaient le départ définitif des forces étrangères pour en annoncer la formation.
« L’Émirat islamique a mené le jihad ces 20 dernières années. Maintenant, il a tous les droits de diriger le prochain gouvernement. Mais il reste engagé à former un gouvernement inclusif », a répété M. Mujahid. Les talibans ont reproché aux Occidentaux d’avoir emmené avec eux certains des Afghans les plus éduqués et qualifiés. Ils doivent maintenant s’atteler sans eux à une tâche gigantesque: remettre sur pied un pays et une économie dévastés par la guerre.
LQ/AFP