Déserteurs ou simples citoyens opposés à la guerre en Ukraine, un nombre croissant de personnes fuient la main du Kremlin pour venir gonfler les rangs des demandeurs d’asile russes en France, alors que leur accueil divise l’Europe.
Trois semaines après l’appel de Vladimir Poutine à la « mobilisation partielle » pour les Russes et sept mois après le début du conflit, les premières secousses sont ressenties sur le système d’asile français.
« Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, on observe bien une tendance à la hausse: sur les huit premiers mois de l’année, l’Ofpra a enregistré 1.420 demandes d’asile de ressortissants russes », indique à l’AFP cet organe chargé d’attribuer le statut de réfugié.
Soit, entre janvier et fin août, presque autant de demandes que sur l’ensemble de l’année précédente (1.495), alors que le conflit a démarré fin février.
Une accélération notée même s' »il y a toujours un temps entre un fait et sa répercussion devant l’Ofpra », relève-t-on à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. « Mais la tendance est là », poursuit l’agence.
Et elle s’accentue, confirme le patron de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) Didier Leschi, dont les guichets enregistrent les dossiers ensuite traités par l’Ofpra.
Entre août et septembre, « il y a une augmentation de 17% », dit-il, rappelant que l’ordre de mobilisation a été émis le 21 septembre, avec des répercussion qui ne seront connues qu’en octobre.
« Crainte de la conscription »
Une chose est sûre, reprend-on à l’Ofpra, l’augmentation des demandes est intimement liée à l’invasion de l’Ukraine et à l’appel à la mobilisation: « La crainte de la conscription ou de la mobilisation forcée pour prendre part aux combats en Ukraine ou la manifestation d’une opposition politique au conflit par tout moyen sont invoquées dans les demandes d’asile les plus récentes ».
Plus marginalement, certaines personnes invoquent une « origine ethnique ukrainienne » ou le fait d’être au sein d’un couple mixte pour réclamer protection.
Un mouvement également observé depuis plusieurs mois au sein des zones d’attente aux frontières, notamment dans les aéroports, où sont placés les étrangers non-admis dans un premier temps sur le territoire, abonde l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers).
« Il y a d’abord eu les personnes qui contestaient d’une façon ou d’une autre la guerre en Ukraine, même juste sur les réseaux sociaux. Maintenant, on a des gens qui fuient la mobilisation », rapporte Charlène Cuartero Saez, une responsable de l’association, selon laquelle une dizaine de Russes étaient retenus pour la seule journée de mardi à l’aéroport parisien de Roissy.
C’est dans cette même zone d’attente de Roissy que l’AFP avait rencontré fin août le soldat russe Pavel Filatiev, qui avait combattu deux mois en Ukraine avant de dénoncer l’offensive du Kremlin dans un long récit publié sur internet et de venir demander asile en France.
Pour et contre
« Quand j’ai appris que le commandement demandait à ce que je sois condamné à quinze ans de prison pour informations mensongères (contre l’armée russe, NDLR), j’ai compris que je n’arriverais à rien ici et que mes avocats ne pourraient rien pour moi en Russie », avait-il raconté.
Le sort et l’accueil des Russes fuyant leur pays divise profondément l’Europe, qui a offert une protection inédite aux réfugiés ukrainiens mais qui, sur ce dossier, est tiraillée entre volonté de soutenir l’opposition à Vladimir Poutine et les craintes notamment en matière de sécurité.
L’Allemagne s’est dite prête à ouvrir ses portes, mais plusieurs pays baltes et la Pologne s’y sont montrés hostiles, tandis que la Commission européenne a évoqué une « question délicate ».
La Finlande, limitrophe, a vu le nombre d’entrées de citoyens russes doubler en quelques heures après l’annonce de la mobilisation et a elle aussi voulu limiter « significativement » ces arrivées.
La France, elle, veut maintenir un « accueil selon les conventions internationales », selon la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna, fin septembre.
« Le droit d’asile est en France constitutionnellement reconnu et donc chaque dossier pourra être examiné », avait-elle déclaré. Un examen « sur la base d’une situation individuelle », donc. Tout l’inverse de la « protection temporaire » accordée à tous les Ukrainiens en fuite.