Les autorités turques ont limogé mercredi les responsables de la police d’Ankara quatre jours après l’attentat le plus meurtrier de l’histoire du pays qui a suscité un nouveau vent de fronde contre le président Recep Tayyip Erdogan à la veille des législatives.
M. Erdogan avait concédé mardi soir l’éventualité de «fautes» de ses services avant l’attaque. Quelques heures plus tard à peine, le ministère de l’Intérieur a annoncé la destitution du chef de la police de la capitale, Kadri Kartal, ainsi que de ses deux adjoints en charge du renseignement et de la sécurité publique.
Cette décision a été prise «afin de faciliter l’enquête», a justifié le ministère dans une déclaration.
A l’occasion de se première apparition publique depuis le drame, le chef de l’Etat a annoncé l’ouverture d’une enquête du Conseil d’inspection de l’Etat (DDK) afin d’identifier d’éventuels manquements à la sécurité avant l’attentat, qui a fait samedi au moins 97 morts et plus de 500 blessés.
«Il a dû sans conteste y avoir une faute, une défaillance à un certain moment. De quelle importance ? Ce sera clair après l’enquête», a déclaré M. Erdogan devant la presse. «S’il y a eu la moindre négligence, alors le Premier ministre et les autorités compétentes prendront les mesures nécessaires. Personne ne doit en douter», a-t-il insisté.
Chargé de vérifier le bon fonctionnement des rouages de l’Etat, le DDK a récemment enquêté sur les circonstances de la mort de l’ancien président Turgut Özal, décédé en 1993 dans des circonstances controversées. Depuis trois jours, M. Erdogan est à nouveau sous le feu des critiques de ses adversaires, notamment de l’opposition prokurde qui pointe du doigt ses responsabilités dans l’attentat.
Le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, lui reproche ainsi d’avoir délibérément négligé la sécurité des partisans de la cause kurde visés samedi à Ankara, qui devaient défiler contre la reprise il y a près de trois mois des affrontements entre l’armée et les rebelles kurdes.
A la veille des législatives anticipées du 1er novembre, M. Demirtas accuse également le régime de M. Erdogan d’entretenir des liens avec les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
« Nous connaissons le tueur »
Depuis samedi, des milliers de personnes ont défilé en Turquie aux cris de «Tayyip assassin» ou «nous connaissons le tueur», pour dénoncer la stratégie de la tension mise en oeuvre selon eux par le chef de l’Etat. M. Davutoglu avait désigné lundi l’EI comme le «suspect numéro 1» de l’attentat.
«D’après les renseignements reçus (par la Turquie), cette attaque terroriste trouve ses origines en Syrie», a précisé M. Erdogan mardi, en promettant une nouvelle fois que ses «responsables seront traduits devant la justice».
Le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus, porte-parole de son gouvernement, a de son côté indiqué que «plusieurs arrestations» avaient été faites après l’attentat d’Ankara. M. Kurtulmus a précisé qu’il présentait des «similitudes» avec celle qui avait fait 34 morts le 20 janvier à Suruç, près de la frontière syrienne.
Ennemie jurée du président syrien Bachar al-Assad, la Turquie a été longtemps accusée par ses alliés de complaisance vis-à-vis des jihadistes qui le combattent. Après l’attentat de Suruç, elle a opéré un revirement en menant quelques raids aériens contre l’EI, qui l’a ouvertement menacé de représailles.
Les autorités turques ont par ailleurs annoncé mercredi avoir arrêté deux personnes soupçonnées de liens avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et susceptibles d’avoir eu connaissance de l’attentat d’Ankara.
Depuis le scrutin du 7 juin, la tension est vive entre le camp du chef de l’Etat et le HDP. En raflant 13% des suffrages et 80 sièges de députés (sur 550), le parti prokurde a largement contribué à faire perdre au parti de M. Erdogan la majorité absolue qu’il détenait depuis treize ans.
De son côté, le pouvoir accuse le HDP de «complicité» avec les «terroristes» du PKK, avec l’espoir d’attirer à lui l’électorat nationaliste.
Le mouvement armé kurde a annoncé samedi, quelques heures après l’attentat d’Ankara, la suspension de ses opérations avant les élections, sauf en cas de «légitime défense». Des accrochages entre l’armée et le PKK ont toutefois été signalés depuis.
Selon le ministère de la Santé, 53 personnes blessées dans l’attentat de samedi étaient toujours hospitalisées en soins intensifs mardi.