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Les Allemandes, « travailleuses piégées »


(Photo : AFP)

Le modèle traditionnel de la femme au foyer assignée aux 3K (Kinder, Küche, Kirche – enfants, cuisine, église) a évolué vers l’intégration dans le monde du travail. Mais les femmes restent souvent en première ligne des inégalités.

Il est 11 heures du matin et Heidi savoure sa première pause-café. Serveuse dans une boulangerie du quartier berlinois de Charlottenburg, elle s’est levée à 2 h 15 pour commencer à 4 h 30, comme elle le fait cinq jours par semaine. Elle a 69 ans. Combien de temps pense-t-elle encore tenir ce rythme ? « Un an ! », s’exclame-t-elle.

Heidi a commencé à 16 ans comme apprentie dans la boulangerie de ses parents. Trente-cinq ans de vie active lui permettaient d’envisager une retraite confortable jusqu’à ce qu’elle se lance le défi de gérer la filiale d’une chaîne de boulangerie à la fin des années 90. Confrontée à une rude concurrence sur l’Alexanderplatz, Heidi s’épuise à la tâche, de 5 h à 20 h. Le pari se termine à l’hôpital : thrombose coronarienne. « La plus grosse bêtise de ma vie ! »

Handicapée à 60 %, la voilà contrainte de liquider son plan d’assurance-vie et soumise aux règlements du régime d’assurance-chômage Hartz IV. Les services sociaux pointent son loyer, trop élevé pour le logement d’une personne seule. « Pas question pour moi de quitter l’appartement de Schöneberg dans lequel je vivais depuis toujours. Il me manquait 120 euros mensuels, j’ai donc retrouvé un emploi. »
C’était il y a trois ans. Elle se plaint de ses jambes qui la font souffrir, debout derrière son comptoir, mais elle aime ce travail « qui la maintient active et lui permet de gâter ses petits enfants ». Au salaire minimum de 8,84 euros bruts de l’heure.

Le nombre de retraités actif a doublé en 10 ans

À l’autre bout de la capitale, dans le quartier de Kreuzberg, Helga balaie la cage d’escalier d’un immeuble cossu. À 80 ans, elle répète le rituel chaque mercredi. « Parce qu’elle a toujours travaillé » et parce qu’elle en a besoin.
Elle a travaillé 44 ans de sa vie : sa pension de retraite s’élève à 950 euros. Trop peu pour vivre ses vieux jours paisiblement, mais 150 euros de trop pour pouvoir prétendre au complément du minimum vieillesse pour les retraités.

Dans un Berlin où la gentrification enchérit la vie, Helga et Heidi sont loin d’être des exceptions : selon l’Institut fédéral de la statistique, le nombre de retraités contraints de travailler a doublé en dix ans, soit 11 % des plus de 65 ans.
Les réformes du chancelier social-démocrate Schröder du début des années 2000 étaient motivées par l’ambition de sauver le système par répartition menacé par le vieillissement de la population.

Au menu : baisse des taux de cotisation, allongement progressif de la durée du travail. Elles ont eu pour effet pervers d’accroître les inégalités entre personnes âgées. Avec des femmes en première ligne des injustices.

David Philippot (Le Républicain Lorrain)