L’empereur du Japon Akihito a conclu mardi les cérémonies d’abdication, cédant après 30 ans de règne le trône du Chrysanthème à son fils aîné Naruhito, première abdication au Japon depuis plus de deux siècles.
Akihito demeure néanmoins empereur jusqu’à minuit, lorsque le pays entrera dans une nouvelle ère baptisée Reiwa (belle harmonie), qui doit s’étendre sur toute la durée du règne de Naruhito.
La cérémonie, de dix minutes seulement, s’est déroulée à partir de 17h locales (10h au Luxembourg) dans la plus belle salle du Palais, « Matsu no Ma » (la salle de pin).
Akihito, vêtu d’un costume queue-de-pie, a prononcé un court discours : « J’exprime du fond du cœur ma gratitude au peuple du Japon qui m’a accepté comme symbole de l’État et m’a soutenu », a-t-il lu, reprenant la définition de son rôle inscrite dans la Constitution entrée en vigueur en 1947 et par laquelle l’empereur a perdu son statut semi-divin.
Dans la matinée, vêtu d’une volumineuse chasuble de soie brun doré réservée au seul souverain et coiffé d’un couvre-chef noir surmonté d’une très haute crête, l’empereur avait « annoncé » son renoncement, dans plusieurs sanctuaires du Palais impérial.
Entre « tristesse » et « félicité »
Devant ce haut lieu très protégé du centre de Tokyo, pas de grosse foule en cette journée pluvieuse, mais des touristes et des Japonais partagés entre émotion et enthousiasme à l’idée de ce changement d’époque.
« Je suis né pendant l’ère Heisei donc ça me rend un peu triste qu’elle prenne fin mais je suis aussi excité par cette nouvelle ère qui commence », confie Rikia Iwasaki, un collégien de 13 ans.
« Je voudrais remercier l’empereur pour son dur labeur », témoigne de son côté Hironari Uemara, 76 ans, venu à Tokyo pour l’occasion depuis Okayama (ouest). L’empereur Akihito, l’impératrice Michiko manqueront à son épouse : « J’ai envie de pleurer », dit-elle.
La population nippone vit ainsi des festivités historiques et quasi inédites puisque, cette fois, la nation n’est pas endeuillée comme c’était le cas en 1989 (mort de Hirohito aussi appelé empereur Showa), 1926 (mort de l’empereur Taisho) ou 1912 (mort de l’empereur Meiji). Un congé exceptionnel de dix jours a été décrété.
Ultimes pèlerinages
Le président américain, Donald Trump, un des premiers à s’exprimer, a envoyé un message disant sa « sincère appréciation » au couple impérial et soulignant « la proche relation » unissant les États-Unis et Japon.
Des mesures spéciales de sécurité ont été mises en place d’autant que, la semaine dernière, le petit-fils de l’empereur, le prince Hisahito, a été l’objet d’un acte considéré comme une menace : deux couteaux ont été trouvés sur sa table de classe dans son collège. Un homme de 56 ans a été arrêté depuis.
Des comptes à rebours sont prévus dans des lieux aussi divers que des boîtes de nuit, parvis de gares, observatoires ou sanctuaires shinto, quasi religion qui régit en partie les rites impériaux.
Toutefois, l’ensemble des événements relatifs à ce changement s’étale sur des mois, avec un autre point culminant à l’automne quand seront accueillis des chefs d’État et nombreuses personnalités.
Alors que les successions impériales se faisaient depuis 200 ans lors du décès du souverain en exercice au profit de son héritier, le passage d’Ahihito à Naruhito découle d’une loi d’exception écrite sur mesure. L’empereur avait subtilement exprimé en août 2016 son souhait d’être déchargé de sa tâche, qu’il ne pourrait plus « exercer corps et âme » en raison de son âge (85 ans aujourd’hui) et d’une santé sur le déclin.
Akihito et son épouse Michiko ont effectué ces dernières semaines leurs ultimes pèlerinages à travers le pays qu’ils ont sillonné trois décennies durant, notamment pour aller réconforter les sinistrés après les nombreuses catastrophes naturelles de leur ère de règne.
« Très proche »
Le couple impérial est très respecté, ce qui tient beaucoup à la relative proximité qu’il a su créer avec les citoyens. L’impératrice Michiko est le sujet d’un « véritable engouement populaire » et « l’empereur a su entrer dans l’aire de l’affection par exemple en serrant des mains », précise Hideya Kawanishi, professeur de l’université de Nagoya.
« L’empereur est à la fois quelqu’un qui appartient aux hautes sphères mais je le ressens aussi très proche de nous du fait notamment qu’il se rendait toujours sur les lieux des catastrophes naturelles pour rencontrer directement le peuple », souligne le collégien rencontré devant le Palais.
Héritant des titres nouveaux d’empereur émérite et impératrice émérite, le couple impérial cède le palais à Naruhito et son épouse Masako, respectivement âgés de 59 et 55 ans.
Le premier discours de Naruhito mercredi, après l’intronisation, dans lequel il devrait distiller l’esprit qu’il compte donner à son règne, est très attendu.
Akihito a œuvré à donner une substance à ce rôle et Naruhito promet de s’inscrire dans cette continuité. Il a déjà signifié qu’il continuerait à faire en sorte que les exactions du Japon durant la guerre ne soient pas passées sous silence pour les générations futures. Il aura aussi à cœur de continuer à soutenir les victimes de désastres naturels.
Mais de l’avis des experts, il faudrait qu’il aille encore plus loin pour imprimer sa marque. Sa préoccupation depuis des décennies dans le problème de l’eau sur Terre pourrait être l’axe d’un engagement plus international.
AFP