Le sénateur démocrate américain Al Franken ne fait plus rire ses collègues: accusé de comportement déplacé par de plus en plus de femmes, ostracisé par son propre parti, l’ancien humoriste pourrait annoncer sa démission jeudi.
Beaucoup d’élues et d’élus estiment que le Congrès américain se situe à un moment-charnière, un point de l’histoire où chacun doit, sans la moindre ambiguïté, adopter une politique de tolérance zéro envers tout comportement déplacé, a fortiori du harcèlement ou des agressions sexuelles.
C’est ce qui a poussé, mercredi en moins de 24 heures, 32 des 48 démocrates du Sénat à appeler Al Franken, 66 ans, à la démission. Un mouvement lancé par un groupe de sénatrices, et qui a gagné entre le matin et le soir le soutien du reste des membres de l’opposition.
La goutte d’eau a été la publication par Politico, le matin, du nouveau témoignage d’une femme – une septième – qui affirme qu’Al Franken, en 2006, avant son élection au Sénat, a tenté de l’embrasser de force après une émission de radio; contrairement aux précédentes, le sénateur a nié cette accusation.
Al Franken s’exprimera jeudi à 11 heures 45 depuis l’hémicycle du Sénat à Washington. Selon son ami l’élu Keith Ellison, ainsi que la radio locale du Minnesota MPR, il devrait annoncer sa démission.
Le Congrès a longtemps été une institution machiste. Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 20% des membres du Congrès. Mais il y 20 ans, elles n’étaient que 12%; il y a trente ans, 5%.
« Ça suffit », a expliqué la sénatrice Kirsten Gillibrand. « Le pays a besoin de cette conversation. C’est une erreur de faire la différence entre agression sexuelle, harcèlement sexuel ou geste déplacé. Il faut tracer une ligne rouge, et dire qu’aucun de ces comportements n’est acceptable ».
« Et nous, les élus, devons être irréprochables », a-t-elle martelé.
« Le sommet de l’iceberg »
Avant d’être élu au Sénat en 2008, Al Franken fut l’une des stars de l’émission culte Saturday Night Live dans les années 1970 et 1980, avant de continuer une carrière d’humoriste, de scénariste et d’animateur radio. C’est dans ces habits de pitre qu’en 2006 il a tenté d’embrasser de force l’une de ses partenaires sur scène, lors d’une tournée auprès des troupes américaines à l’étranger. Mais c’est en tant que sénateur qu’il a été accusé de gestes déplacés sur plusieurs femmes, pendant des photos.
Al Franken n’a pas nié la plupart des faits qui lui sont reprochés.
Il a multiplié les actes de contrition depuis les premières accusations, il y a trois semaines. Il a accepté de coopérer avec l’enquête lancée par la commission éthique du Sénat, censée traiter ce type d’affaires et recommander des sanctions pouvant aller de la réprimande à l’exclusion.
Finalement, ses collègues n’ont pas voulu attendre les conclusions de cette procédure.
Un procès en place publique, expéditif et inéquitable ? Non, répond l’élue démocrate de la Chambre Jackie Speier. « Il a démontré un comportement absolument inacceptable, et on sait que 70% des victimes de harcèlement sexuel ne le rapportent pas car elles ont peur de perdre leur travail. Donc ce n’est probablement que le sommet de l’iceberg », a-t-elle dit jeudi sur MSNBC.
Cette parlementaire se bat pour réformer le système interne au Congrès qui, selon elle, dissuade les victimes de harcèlement de porter plainte au lieu de les protéger contre des représailles. Par exemple, dit-elle, les règles actuelles imposent à la victime de passer par des semaines de conseil juridique et de médiation avant de pouvoir déposer plainte.
Mais certains, comme l’ancien président républicain de la Chambre Newt Gingrich, s’inquiètent d’une telle précipitation.
« Franken, 1 053 205 électeurs du Minnesota l’ont élu au Sénat en 2014, et 30 sénateurs autoproclamés ‘purs’ veulent le pousser dehors. Qu’est devenu le suffrage universel ? » a-t-il écrit sur Twitter.
Un autre élu démocrate du Congrès, le doyen de la Chambre John Conyers, a démissionné mardi, à 88 ans. Contrairement à Al Franken, il était accusé de harcèlement sexuel répété sur des collaboratrices.
Certains démocrates demandent aux républicains d’appliquer la même sévérité en leur sein, notamment contre Roy Moore, un ancien magistrat accusé d’attouchements sur des mineures dans les années 1970 et qui sera peut-être élu sénateur mardi prochain dans l’Alabama.
Le Quotidien/ AFP