« On ne va pas s’obstiner à étudier en Angleterre, c’est trop cher »: face à l’arrêt du programme européen d’échanges Erasmus au Royaume-Uni, les étudiants français contraints de changer leurs projets oscillent entre déception et fatalisme.
En première année à l’université de Lille, Lucas Santerre espérait mettre le cap en septembre 2021 sur Leeds, dans le Yorkshire.
« Pour apprendre l’anglais, ça semblait incontournable », estime le jeune homme de 18 ans, qui souhaitait poursuivre son cursus d' »études culturelles » dans le pays qui a développé cette discipline.
Mais avec l’accord post-Brexit annoncé mercredi et l’abandon d’Erasmus par le Royaume-Uni, « ca ne sera pas possible », soupire l’étudiant. « J’ai complètement laissé tomber l’idée. Le Royaume-Uni, j’oublie, je vais tenter la Pologne ou la Hongrie. »
Grâce à Erasmus, il aurait pu avoir une bourse et s’inscrire à Leeds en payant les mêmes frais de scolarité qu’en France, soit « quelques centaines d’euros ». Avec la fin du programme outre-Manche, « hors de question » pour ce fils d’agriculteur de s’accrocher à son projet initial et d’investir « plus de 10.000 livres » pour financer son année.
« L’objectif c’est pas de s’endetter, c’est de partir à l’étranger parce que c’est une belle expérience et c’est enrichissant », justifie-t-il.
Amateur de châteaux, Lucas se voyait déjà « approfondir l’architecture de la période victorienne » dans la bibliothèque du campus, ou « aller voir le mur d’Hadrien » à la frontière écossaise.
« J’irai peut-être faire tout ça comme voyageur, mais pas comme étudiant », regrette-t-il. « C’est dommage, le Royaume-Uni s’isole. »
En 33 ans de collaboration, le royaume britannique s’était imposé comme l’un des principaux pays d’accueil des étudiants européens au sein d’Erasmus.
Les jeunes Français en ont fait leur destination favorite entre 2014 et 2019, selon les chiffres de l’agence Erasmus+ France, qui gère le programme dans l’Hexagone.
La tendance s’était toutefois infléchie avec la menace du Brexit. En 2018-2019, un peu plus de 4.000 Français sont partis au Royaume-Uni, ce qui en faisait « le troisième pays de destination, derrière l’Espagne et l’Irlande », rappelle la directrice de l’agence, Laure Coudret-Laut.
«Cavalier seul»
Désormais, « les étudiants les plus modestes ne pourront pas envisager de faire des études au Royaume-Uni » à cause des « droits d’entrée très importants », analyse-t-elle. Conséquence, « l’Irlande, Malte et les pays nordiques, qui proposent de nombreux cursus en anglais, vont beaucoup bénéficier du Brexit ».
Cette haute fonctionnaire trouve « très surprenant que le Royaume-Uni décide de faire cavalier seul ».
Le Premier ministre Boris Johnson a annoncé la création d’un programme mondial propre pour permettre aux étudiants britanniques de partir à l’étranger. Selon lui, Erasmus coûtait « extrêmement cher » au Royaume-Uni, car le pays accueillait plus d’étudiants européens (35.000 par an environ) qu’il n’envoyait de jeunes Britanniques (17 000) sur le Vieux continent.
« C’est un argument qui ne tient pas la route », estime Mme Coudret-Laut, en rappelant que les jeunes qui s’installent dans un pays étranger « consomment et contribuent à la vie économique ».
En rapportant ces dépenses à la participation du Royaume-Uni pour financer Erasmus, le pays engrangeait un bénéfice net de 243 millions livres, soit environ 270 millions d’euros, selon l’organisation Universities UK, qui représente plus de 140 établissements d’Angleterre, d’Ecosse, du Pays-de-Galles et d’Irlande du Nord.
Pour Mme Coudret-Laut, « mettre en place un programme mondial sera coûteux. En sortant d’Erasmus, le Royaume-Uni se prive surtout de talents. »
« Ca gâche mes projets, mais je vais passer au plan B », confirme François Boyer, qui rêvait d’une année à Londres, charmé par « l’effervescence de la ville ». « Fataliste », l’étudiant lillois en sciences politiques « espère rebondir dans un autre pays anglophone comme le Canada », où son université a noué des partenariats.
« C’est vraiment triste, pour les étudiants britanniques comme pour les Européens », regrette Juliette Soudarin, étudiante en journalisme qui a bénéficié du programme il y a deux ans.
Erasmus l’a envoyée à l’université de Keele, dans le centre de l’Angleterre. Au-delà des études, cette passionnée de musique a « découvert la scène rock » du Royaume-Uni et y a rencontré son « boyfriend ».
« Avec le Brexit, on se rend compte qu’on a été très chanceux de vivre tout ça. »
AFP