Le fait de retirer le préservatif en passant outre la volonté expresse du partenaire sexuel peut être qualifié de viol. Nul besoin d’une modification du code pénal pour sanctionner cette pratique, explique la ministre de la Justice : la loi et la jurisprudence s’en chargent déjà.
Stealthing : cet anglicisme désigne le retrait furtif du préservatif lors d’un rapport sexuel alors que le partenaire pénétré avait fait de son port une condition sine qua none de la relation sexuelle. La députée Carole Hartmann (DP), inquiète de la juste prise en compte au Luxembourg de cet «abus de confiance», a adressé une série de questions en la matière aux ministres de la Justice, Sam Tanson, et au ministre de l’Intérieur, Henri Kox.
Si cette pratique est connue de la police grand-ducale, elle «n’est toutefois pas identifiable dans les statistiques policières vu l’absence d’une qualification pénale propre, mais est encore estimée être très rare», répondent les ministres. Donc, nulle trace du stealthing parmi les 104 plaintes pour viol déposées en 2020 auprès de la police ou parmi les 132 plaintes pour viol ou tentative de viol déposées la même année auprès des autorités judiciaires. Qui aboutissent d’ailleurs à peu de condamnations – c’était l’objet par ailleurs d’une question de la députée Carole Hartmann : 21 au total en 2020 dans tout le Grand-Duché, par exemple.
Mais si le retrait du préservatif à l’insu du partenaire est invisible dans les statistiques, il n’échappe pas aux radars du code pénal ou de la jurisprudence.
Si le stealthing, qui n’est pas une notion juridique, ne figure pas en tant que tel dans la loi, le libellé de l’article 375 du code pénal, qui caractérise le viol, est armé pour l’appréhender, dit en substance la ministre de la Justice.
La loi couvre tous les cas de rapport sexuel non consenti
Cette pratique étant une affaire de consentement à l’acte subordonné au port du préservatif, la ministre souligne que l’article 375, depuis une réforme législative intervenue en 2011, permet de rapporter la preuve de l’absence de consentement de la victime «notamment par l’usage, de la part de l’auteur, de violences ou de menaces graves, de ruse ou d’artifice, sinon en abusant d’une personne hors d’état de donner un consentement libre ou d’opposer de la résistance.»
Le terme important est ici «notamment», qui «indique clairement que désormais la preuve de l’absence de consentement de la victime peut être rapportée par d’autres moyens», argumente la ministre. Cette dernière en tire la conséquence que «tous les cas de rapports sexuels non consentis tombent, depuis la réforme de 2011, sous le coup de l’article 375 du code pénal».
Dans ce raisonnement, la ministre prend à témoin la jurisprudence, suivant laquelle l’absence de consentement peut, par exemple, être retenue s’il «est établi à suffisance que l’acte de pénétration sur la personne de X a été commis en prenant celle-ci au dépourvu, c’est-à-dire sans qu’elle soit préparée ou avertie et donc sans qu’elle n’ait donné son consentement». La ministre assure que «ce raisonnement peut être étendu à la pratique du stealthing».
Le retrait du préservatif invalide le consentement
La ministre de la Justice en tire la conséquence que «s’il est établi que le consentement de la victime était soumis à la condition de l’usage d’un préservatif, il peut en être déduit que si l’autre partenaire retire la protection, contrairement à ce qui était convenu, le consentement de la personne qui a subi l’acte de pénétration n’est plus valable et l’infraction de viol peut être retenue».
La ministre, pour bien enfoncer le clou, rapporte en outre une jurisprudence rendue sous l’empire de l’ancienne rédaction de l’article 375 du code pénal, dans laquelle «les juges avaient retenu le viol dans une hypothèse où la victime était certes d’accord avec l’acte de pénétration, mais uniquement sous condition que son partenaire sexuel utilise un préservatif. Celui-ci étant passé outre, la chambre criminelle, confirmée par la Cour d’appel, avait retenu l’infraction de viol.» Voilà qui est encore plus clair.
Enfin, s’agissant de l’inquiétude exprimée par la députée Carole Hartmann sur une infection sexuellement transmissible consécutive à un rapport non protégé, la ministre de la Justice estime qu’une telle transmission pourrait tomber «sous la qualification de coups et blessures volontaires, voire d’administration volontaire de substances nuisibles» ou «la qualification de coups et blessures involontaires. Par contre, pas un mot sur l’éventuelle grossesse non désirée évoquée par la députée dans sa question.
Manuel Santos