Vanté pour ses vertus écologiques, le train de nuit fait le plein cet été dans les gares européennes, mais après des décennies de sous-investissement, l’aventure peut virer à la renaissance chaotique pour passagers et opérateurs.
Au départ de Vienne, fin juillet, les adeptes des Nightjets sont au rendez-vous, entre souci d’éviter de prendre l’avion jugé trop polluant et éloge de la lenteur. L’argument climatique est «un plus», témoigne Astrid Reiter, consultante de 27 ans. Direction Zurich. Elle aime aussi se «réveiller dans un pays différent, observer le paysage, prendre son petit déjeuner à bord». C’est une des 20 liaisons de la compagnie autrichienne ÖBB, pionnière en Europe et désormais rejointe sur ce créneau par d’autres sociétés ferroviaires nationales et des nouveaux venus.
Au moment où les autres pays réduisaient la voilure devant la concurrence des vols à bas coûts et du train à grande vitesse, l’Autriche, idéalement située au cœur de l’Europe, a fait le choix inverse. Devant le déclin ailleurs en Europe occidentale, la société publique a pourtant eu des doutes avant de décider de réinvestir en 2018, forte d’une «longue tradition», explique Bernhard Rieder, porte-parole d’ÖBB.
Un pari à plusieurs centaines de millions d’euros qui s’est avéré gagnant. Face à l’urgence environnementale, ses trains de nuit sont désormais plébiscités, attirant 1,5 million de passagers par an. De quoi convaincre les réfractaires : en France, la SNCF, qui a longtemps négligé les siens, a redémarré le service en 2021, pour une dizaine de lignes prévues à l’horizon 2030, dont une ligne Paris-Berlin en fin d’année.
Problème, les wagons sont en bout de course et le réseau ferroviaire souvent perturbé la nuit par des travaux et la circulation des trains de marchandises. Ce qui occasionne des retards. La qualité «ne correspond pas tous les jours à ce que nous voudrions offrir à nos clients», reconnaît Bernhard Rieder. La compagnie a commandé 33 nouveaux trains, promettant un design moderne et des douches dans chaque cabine. Mais la livraison a pris du retard car «les fabricants ont dû repartir de zéro après plus de 25 ans de disette».
(Il faut) réinventer le train de nuit pour en faire un moyen de transport réellement compétitif face à l’aviation
Ces wagons tout confort, conçus par le conglomérat allemand Siemens, seront mis en service progressivement à partir de décembre. La «vétusté» du matériel roulant est le principal défi, confirme Chris Engelsman, cofondateur en 2021 de la société belgo-néerlandaise European Sleeper, qui a inauguré en mai une liaison Berlin-Bruxelles. «Le train n’est pas toujours à la hauteur des normes modernes», déplore-t-il. «Nous avons parfois des pannes, des toilettes hors service ou une électricité défaillante.»
Devant cette situation, la jeune pousse française Midnight Trains a préféré s’associer à un constructeur pour démarrer avec «du matériel neuf». Objectif : relancer la jadis populaire ligne Paris-Milan-Venise en 2025. Adrien Aumont a eu l’idée quand sa compagne «a décidé de ne plus jamais monter dans un avion». «Je me suis rendu compte que c’était quasiment impossible de voyager en Europe. On demandait aux gens» de changer leurs habitudes, «mais sans leur proposer de solutions».
Critique devant «un produit qui s’est dégradé» au fil des temps, loin du «faste légendaire de l’Orient-Express», l’énergique entrepreneur veut «réinventer le train de nuit pour en faire un moyen de transport réellement compétitif face à l’aviation». Actuellement, difficile en effet de rivaliser avec les prix «déraisonnablement bas» de certains vols, d’après un récent rapport de Greenpeace, alors que le secteur bénéficie de subventions et d’exemptions de taxes, notamment sur le kérosène.
Le transport ferroviaire est pour sa part «soumis à diverses taxes et redevances», notamment pour utiliser les infrastructures, note Philipp Kosok, du groupe de réflexion allemand Agora. «Opérer des trains de nuit est complexe et cher», résume l’expert. Il regrette cette «concurrence déloyale» entre le rail et les airs, quand l’avion devrait être pénalisé pour son impact sur le réchauffement climatique.
Autre casse-tête, se procurer des billets pour traverser le Vieux Continent. Il n’existe pas de site centralisé officiel pour consulter les horaires et tarifs. «Il manque une approche réellement européenne», juge le responsable d’European Sleeper, d’autres déplorant un manque de volonté politique derrière les beaux discours.