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«Le Portugal prouve qu’il existe une alternative à l’austérité»


Manifestation contre l'austérité à Lisbonne en juillet 2015 . (photo AFP)

En 2015, Lisbonne a unilatéralement rompu avec la politique d’austérité qui lui était imposée par l’Union européenne et le FMI. Loin de la catastrophe annoncée par certains, le chemin pris par le gouvernement socialiste et ses alliés de gauche a sorti le Portugal de la crise. Pour Carlos Trindade et Bruno Teixeira, deux dirigeants syndicaux portugais, cela démontre qu’il existe une alternative à l’austérité.

Carlos Trindade est membre du comité exécutif de la CGTP, le premier syndicat portugais en nombre d’adhérents avec 600 000 membres. Bruno Teixeira est secrétaire exécutif de l’UGT, deuxième force syndicale du pays. Tous deux étaient au Luxembourg le mardi 17 octobre pour assister à une cérémonie organisée par l’OGBL pour le vingtième anniversaire d’un accord scellé entre le Luxembourg et le Portugal en faveur des demandeurs de pension invalides.

S’exprimant tout d’abord sur cet accord qui demeure unique en Europe entre administrations de sécurité sociale, Carlos Trindade affirme que «des mesures concrètes positives comme celle-ci sont efficaces pour combattre la démagogie et le populisme d’extrême droite» qui veut opposer les peuples européens entre-eux. Pour son homologue de l’UGT, Bruno Teixeira, cet accord démontre qu’il est nécessaire «dans un espace commun comme l’Union européenne, que les droits de la sécurité sociale de chaque pays doivent être reconnus par les autres États membres». Le syndicaliste se montre particulièrement sensible à cette question puisqu’il est né au Grand-Duché avant d’effectuer ses études supérieures au Portugal .où il est ensuite resté 

Croissance économique sans casse sociale

L’analyse des deux responsables syndicaux converge sur la leçon à retenir de la politique économique et sociale mise en œuvre par Lisbonne depuis 2015. Le Parti socialiste, soutenu au Parlement par le Parti communiste et le Bloc de gauche, a rompu avec succès avec la politique d’austérité qui lui était imposée depuis 2011 par la troïka (Commission européenne, BCE et FMI). Sur le plan macroéconomique, tous les indicateurs sont au vert (lire ci-dessous) et les droits sociaux sévèrement rognés au cours des dernières années sont à nouveau améliorés.

«Le message le plus important à retenir est que la croissance économique peut être obtenue sans perte de droits sociaux ou salariaux», note Bruno Teixeira de l’UGT. «Lors des négociations que nous avons engagées depuis 2015 en faveur d’une hausse des salaires, on nous disait que le chômage allait exploser, mais c’est le contraire qui s’est passé. Il est important que les gouvernements européens, les partis de centre gauche et de gauche prennent exemple sur le Portugal car les résultats obtenus prouvent qu’une alternative à l’austérité est possible. Il faut reprendre le chemin traditionnel de la social-démocratie européenne.» 

Se concentrer sur les problèmes concrets

«L’austérité a entraîné une chute de 10 % du PIB du Portugal, c’est la preuve que le message véhiculé par la troïka, la droite et les néolibéraux est un mensonge», constate pour sa part Carlos Trindade. Pour le représentant de la CGTP, plus marqué à gauche que l’UGT, la leçon à retenir de l’expérience portugaise est l’union : «Les différences idéologiques et les différences de vision stratégique sur l’Union européenne sont très marquées entre le Parti socialiste, le Parti communiste et le Bloc de gauche. Mais les trois partis ont su mettre ces différences de côté pour se concentrer sur les vraies priorités du moment, c’est-à-dire résoudre les problèmes concrets de la population. Cela prouve qu’un autre chemin est possible.»

Au Portugal, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes? «Nous sommes contents de la direction prise, mais nous ne pouvons pas dire que tout va bien. Il est nécessaire de faire plus et plus vite», assure au Quotidien Carlos Trindade de la CGTP. Le Portugal, en effet, revient de loin : ces dernières années, salaires et pensions avaient baissé, les impôts fortement augmenté et la durée de travail hebdomadaire dans la fonction publique était passée de 35 à 40 heures, pour ne citer que ces quelques exemples.

«Il y a eu une perte réelle du pouvoir d’achat et une précarisation des salariés : en 2016, 80 % des contrats signés étaient des contrats précaires. Il faut sortir de cette précarisation des travailleurs en pénalisant par exemple les contrats à durée déterminée», avance pour sa part le représentant de l’UGT.

Bruno Teixeira de l'UGT et Carlos Trindade de la CGTP, le 17 octobre à Esch-sur-Alzette. (Photo: Isabella Finzi)

Bruno Teixeira de l’UGT et Carlos Trindade de la CGTP, le 17 octobre à Esch-sur-Alzette. (Photo: Isabella Finzi)

 

 Des syndicats forts contre l’extrême droite

Carlos Trindade et Bruno Teixeira s’accordent sur le rôle fondamental joué par les syndicats dans l’amélioration des conditions de vie des Portugais, ces deux dernières années. «La pression du patronat portugais et des multinationales doit être contrebalancée par les syndicats pour permettre au gouvernement d’avancer sur sa voie», affirme le représentant de la CGTP qui prend pour exemple le boom que connaît le secteur touristique : «Le tourisme affiche des résultats qui s’améliorent de mois en mois. Les profits des patrons augmentent, mais sans pression des syndicats et sans grève il n’y a pas de redistribution de la richesse.»

«Aujourd’hui, les pays européens se livrent à une concurrence en diminuant les droits sociaux et salariaux afin de gagner en compétitivité les uns par rapport aux autres», déplore Bruno Teixeira. «C’est un cercle vicieux dont on ne sort pas. Il faut que tous ceux qui sont engagés en faveur d’une Europe sociale reprennent la main, prennent la rue si nécessaire, sinon l’avenir de l’Europe est des plus sombres», poursuit le représentant de l’UGT, syndicat réformiste qui ne recourt pourtant à la grève qu’en dernier ressort, quand toutes les négociations ont échoué.

Carlos Trindade de la CGTP insiste une nouvelle fois sur la nécessité pour les syndicats de se battre en faveur de plus d’égalité et d’équité entre travailleurs européens pour endiguer l’avancée des partis nationalistes. «Quand les syndicats baissent la garde, c’est l’extrême droite qui monte», prévient-il.

Fabien Grasser

De bon résultats, mais…

Le Portugal connaît une embellie économique depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement socialiste dirigé par le Premier ministre, Antonio Costa. Lors de la présentation du budget 2018, vendredi, le gouvernement a confirmé que la sortie de crise se poursuit, insistant notamment sur le fait que le pays affiche le déficit le plus bas depuis l’instauration de la démocratie en 1974.

•La croissance : de 1,4 % en 2016, la croissance devrait passer à 2,6 % en 2017 et à 2,2 % en 2018.

•Déficit public et dette : le gouvernement s’engage à réduire le déficit public d’un peu plus de 700 millions d’euros, à 1 % du PIB en 2018, contre 1,4 % cette année, et à ramener la dette à 123,5 % du PIB, contre 126,2 % à la fin 2017.

•Déficit budgétaire : en 2016, le déficit budgétaire a été ramené à 2 % du PIB, passant pour la première fois sous la barre des 3 % depuis la création de la zone euro.

•Le chômage qui avait atteint un taux record de 17,5 % en 2013 devrait afficher 9,2 % en 2017 et 8,6 % en 2018.

•Le salaire minimum est de 557 euros bruts par mois, l’un des plus faibles d’Europe.

•Le minimum vieillesse est inférieur à 200 euros par mois.

•En contrepartie du vote du budget 2018, les partenaires de gauche du gouvernement ont obtenu une baisse de l’impôt sur le revenu, une hausse des retraites et le dégel des promotions dans la fonction publique.

 

strauss farm autruche 16082006 nicolas bouvy

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Un commentaire

  1. Purée Fabien, le gouvernement socialiste, ses soutiens et les syndicats ne sont pour rien dans l’embellie de l’économie portugaise. Celle-ci est liée comme vous l’indiquez au boom touristique (le Portugal, à l’instar de l’Espagne, profite à fond de la désaffection des touristes pour les pays « à risque » comme la Turquie, l’Egypte ou le Maghreb) mais aussi au boom immobilier, conséquence de l’attrait croissant du Portugal comme pays de résidence ou de résidence secondaire pour les étrangers, essentiellement des européens.

    Ces deux « boosters » créent des emplois, nourrissent la demande intérieure en alimentant au passage les caisses de l’Etat ce qui permet les largesses sociales dont vous parlez. A côté de cela, les investissements publics restent au point mort car il faut bien choisir entre refaire les routes et augmenter salaires, pensions etc.

    Donc, c’est la conjoncture et l’attrait du Portugal pour les touristes et investisseurs qui crée la croissance et qui permet au Portugal de « desserrer » le carcan de l’austérité… le gouvernement n’est pas vraiment responsable de ces facteurs « externes » mais en tire évidemment profit.