Le pape François a changé jeudi la loi canonique pour rendre obligatoire le signalement de tout soupçon d’agression sexuelle ou de harcèlement à la hiérarchie de l’Église, décrédibilisée par une série de scandales à grande échelle.
Le « motu proprio », lettre émise directement par le pape qui modifie la législation interne de l’Église universelle (le droit canon), oblige également à signaler toute tentative par la hiérarchie catholique de couvrir des abus sexuels perpétrés par un prêtre ou un religieux.
Elle somme en outre tous les diocèses du monde de mettre en place, dans un délai d’un an, un système permettant au public de signaler des cas d’agressions. Et détaille le déroulement des enquêtes internes qui devront être menées localement dans un délai de 90 jours puis transmises au Vatican pour un éventuel procès.
Dans l’introduction de sa lettre apostolique intitulée Vous êtes la lumière du monde, le pape souligne que l’Église doit « continuer à apprendre des amères leçons du passé », en référence notamment aux scandales de pédophilie qui ont secoué récemment le Chili, les États-Unis, l’Australie ou l’Europe.
Le pape François souligne que « les crimes d’abus sexuels offensent notre Seigneur, causent des dommages physiques, psychologiques et spirituels aux victimes ». Il appelle les fidèles à s’impliquer également dans des « actions concrètes et efficaces ».
Jusqu’à présent les prêtres, religieux et religieuses dénonçaient les affaires selon leur conscience. Le pape rend désormais légalement contraignant dans l’ensemble de l’Église la dénonciation d’abus sexuels « dans les meilleurs délais ». Les laïcs travaillant pour l’Église sont encouragés à faire des signalements.
Le texte met un accent particulier sur les mineurs et les personnes vulnérables de tous âges. Il évoque plus généralement des actes sexuels subis sous la menace ou par abus d’autorité, ce qui inclut donc les viols de religieuses ou le harcèlement de séminaristes.
Il rappelle en outre qu’il est interdit de produire, détenir et partager du « matériel pédopornographique ».
La hiérarchie de l’Église est également condamnable – et doit donc être dénoncée – en cas d’actions « visant à interférer ou éluder des enquêtes civiles ou des enquêtes canoniques » à l’encontre d’un clerc ou d’un religieux, spécifie la lettre.
Quand les soupçons portent sur des personnes ayant une position hiérarchique, en particulier des cardinaux, des patriarches d’églises catholiques orientales ou des évêques, le signalement pourra être adressé directement au Saint-Siège, à un ambassadeur du Vatican ou à un archevêque métropolitain chapeautant les évêques d’une province.
Pas d’impunité pour les évêques
« Personne dans la hiérarchie de l’Église n’est au-dessus des lois, les évêques doivent être dénoncés s’il font du mal », a souligné devant la presse l’archevêque maltais Charles Scicluna, grand expert juridique du Vatican sur le sujet. Pour le pape, « le silence n’est pas un comportement juste, celui qui parle doit être protégé, celui qui souffre accueilli et écouté ».
Le texte de l’Église ne comporte aucune obligation de signaler les cas aux autorités judiciaires du pays, sauf là où la loi locale l’impose.
« La dénonciation obligatoire est une bonne chose » , a réagi jeudi « Snap », un réseau américain de victimes d’agressions sexuelles par des prêtres, qui prône néanmoins des signalements directs « à la police et à la justice » car « un contrôle par des autorités séculaires extérieures protégera mieux les enfants ».
Le souverain pontife a demandé aussi que le secret de la confession demeure absolu : un prêtre ne peut donc toujours pas rapporter des faits évoqués par un fidèle dans le confessionnal.
Mgr Juan Ignacio Arrieta, secrétaire du Conseil pontifical pour les textes législatifs, a expliqué qu’il s’agissait d’une « loi ecclésiastique humaine » qui ne pouvait agir sur le « devoir divin » du secret de confession.
Autre volet majeur du texte, les diocèses doivent mettre en place « individuellement ou ensemble » un ou plusieurs dispositifs « facilement accessibles au public pour permettre de présenter des signalements ».
Ce type de guichets existe déjà dans certains pays, comme les États-Unis, mais le pape rend l’initiative obligatoire dans le monde entier. Il reste flou en revanche sur leur forme, qui devra protéger les lanceurs d’alerte de toute rétorsion.
Au début d’un sommet inédit sur le sujet en février, le pape François avait réclamé des mesures « concrètes » pour lutter contre les agressions sexuelles de mineurs par le clergé, en réponse aux victimes qui souhaitaient un électrochoc. Mais le sommet avait déçu par son manque d’annonces immédiates.