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Le monde veut éviter une guerre du vaccin, Trump joue solo


Le gouvernement Trump a investi depuis février des centaines de millions de dollars dans quatre vaccins expérimentaux dans l'espoir qu'un ou plusieurs réussissent et soient fabriqués aux États-Unis. (photo AFP)

Xi Jinping, Emmanuel Macron, Angela Merkel et l’Organisation mondiale de la santé veulent que tout vaccin contre le coronavirus soit un « bien public mondial », mais en même temps, à Washington, Donald Trump affiche une autre priorité : vacciner ses compatriotes.

Les États-Unis ont annoncé jeudi une subvention record de 1,2 milliard de dollars au laboratoire britannique AstraZeneca, qui fabriquera l’éventuel vaccin de l’université d’Oxford, avec comme condition un transfert de technologie aux États-Unis et la livraison de 300 millions de doses. Derrière le principe de « bien public mondial » se profilent en réalité deux problèmes distincts : la propriété intellectuelle et la distribution des premières doses. Le premier pourrait être plus simple à résoudre que le second.

L’Afrique réclame un vaccin non breveté, a dit le président sud-africain Cyril Ramaphosa. C’est peu probable: les laboratoires voudront recouper leurs milliards d’investissements et pourront compter sur le soutien des États-Unis, hostiles à toute remise en cause des droits internationaux de propriété intellectuelle – ils l’ont rappelé à l’OMS cette semaine. Le vaccin ne sera donc sans doute pas gratuit. Pour le prix, plusieurs groupes se sont engagés à seulement couvrir leurs coûts de production.

La promesse de prix coûtant est subjective : elle fut faite autrefois pour les traitements anti-VIH, relève Matthew Kavanagh, de l’université Georgetown, mais les fabricants génériques avaient ensuite trouvé beaucoup de marge et divisé les coûts par dix ou plus. Pour Mark Feinberg, ancien directeur scientifique de Merck Vaccines et actuel président de l’International AIDS Vaccine Initiative (IAVI), les laboratoires ont retenu la leçon et ne voudront pas être des « parias », ce qui nuirait à leur réputation et leur rentabilité. Lui croit que le partage de propriété intellectuelle se fera de toute façon, puisque « aucun ne pourra répondre seul à la demande mondiale, ils seront obligés de trouver des partenaires pour fabriquer le produit ».

Trump est « tout le contraire de ce qu’il faut »

La question difficile devient : lesquels des 7,6 milliards de Terriens seront vaccinés en premier ? L’OMS, l’Europe et les organisations non gouvernementales impliquées dans la lutte contre le Covid-19 veulent mettre sur pied un mécanisme inédit de répartition « équitable », avec comme principe la vaccination en priorité des personnels de santé de tout pays touché, puis des travailleurs essentiels (police, transports…), avant le reste des populations.

Mais Donald Trump, pressé de revenir à la normale, ne s’embarrasse pas de solidarité internationale : son gouvernement a l’objectif, hautement hypothétique, alors que les essais cliniques ne font que commencer, de 300 millions de doses d’ici janvier, sous-entendu pour vacciner l’ensemble des Américains, jeunes comme vieux. « Sa mentalité est très insulaire, très xénophobe, tout le contraire de ce qu’il faut pour maîtriser une pandémie », estime Sten Vermund, doyen de l’école de santé publique de Yale.

Les États-Unis ne sont pas une île et dépendent largement d’autres pays pour consommer et se nourrir, rappelle-t-il. « Nous ne reviendrons pas à la normale si le monde reste ravagé par le coronavirus ». Reste que le gouvernement Trump a investi depuis février des centaines de millions de dollars dans quatre vaccins expérimentaux (Johnson & Johnson, Moderna, Sanofi, Oxford/AstraZeneca), dans l’espoir qu’un ou plusieurs réussissent et soient fabriqués aux États-Unis.

Alliance entre les sociétés

Les patrons de Moderna, une biotech, et de Sanofi ont en substance dit à l’Europe qu’elle serait bien inspirée d’imiter Washington. La garantie ultime contre une nationalisation des vaccins sera de construire des usines sur plusieurs continents. Mais contrairement à la pandémie de grippe H1N1 en 2009, « on part d’une feuille blanche, on n’a ni vaccin ni usine », dit Pascal Barollier, de Gavi, une organisation qui achète des vaccins pour des pays en développement.

La coalition publique-privée Cepi, lancée en 2017 face à l’échec initial contre Ebola, a investi un demi-milliard de dollars dans neuf sociétés développant des vaccins contre le Covid-19. En échange, elle leur demande que les technologies soient partagées pour une mise en production massive et rapide. Ainsi subventionnés, les laboratoires construisent des lignes de production supplémentaires sans attendre les résultats des essais cliniques.

Des sociétés s’allient : Moderna pourra produire aux États-Unis (pour le marché américain) et en Suisse (pour l’Europe). Sanofi s’est associé à un concurrent, GSK; les deux géants ont de multiples usines des deux côtés de l’Atlantique.

Pour vacciner la planète, il reste à espérer que plusieurs vaccins, et non un seul, aboutiront.

AFP/LQ