Attaqué par trois agriculteurs, le gouvernement allemand a échappé jeudi à une évaluation par la justice de sa politique climatique, un tribunal de Berlin ayant jugé « irrecevable » cette extension de la lutte contre le réchauffement jusque dans les prétoires.
L’Allemagne a beau être certaine de manquer largement ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre pour 2020, cet engagement formulé en 2014 ne constitue « pas une réglementation juridiquement contraignante », expliquent les juges administratifs de Berlin dans leur décision. Après une matinée d’audience, ils ont donc débouté les trois familles mobilisées depuis un an, avec l’appui de l’ONG environnementale Greenpeace : évoquant leurs récoltes en berne et les ravages des intempéries sur leurs terres, elles voulaient que la justice contraigne le gouvernement à agir plus énergiquement, sans réclamer d’indemnités. Première du genre visant l’Etat allemand, cette requête s’inspirait de celle qui a abouti, l’an dernier aux Pays-Bas, à la condamnation de l’Etat néerlandais à réduire plus fortement les gaz à effet de serre. Dans leur décision, les juges reconnaissent clairement que l’Allemagne n’attend pour 2020 qu’une baisse de 32% de ses émissions de CO2 par rapport à 1990, au lieu des 40% visés, un échec notamment dû à la stagnation des émissions dans le secteur des transports.
Plan climatique contestée
La coalition au pouvoir vient certes d’accoucher d’un plan climatique, promettant des investissements et des subventions ainsi qu’un système de quota d’émissions, mais scientifiques et écologistes ont vivement dénoncé son manque d’ambition. Or Greenpeace et les trois requérants entendaient bien démontrer par cette procédure le lien direct, et déjà palpable, entre le dérèglement climatique et le quotidien d’un pays pourtant tempéré. Producteur laitier à Vetschau, non loin de Berlin, Heiner Lütke Schwienhorst avait souffert de la sécheresse exceptionnelle de 2018, sans précédent depuis 1911 et marquée par des températures dépassant les 35 degrés. Non seulement ses vaches étaient particulièrement stressées, habituées à vivre entre -5 et 15 degrés, mais il a fallu acheter 400 bottes de foin pour les nourrir, en raison de la piètre récolte de céréales et de la perte de 50% des cultures fourragères.
« On ne peut pas continuer comme ça »
Les Blohm, arboriculteurs bio installés près de Hambourg, ont de leur côté dû abattre quatre hectares de cerisiers en 2016 à cause de la « mouche de la cerise », parasite sévissant normalement bien plus au sud. Avant de voir l’année suivante leurs terres inondées par les orages, et leurs pommiers ravagés par le carpocapse, un insecte niché au coeur des fruits. « On ne peut pas continuer comme ça », résume Claus Blohm. Avec des dégâts l’an dernier « sur les arbres, les fruits, les feuilles », ses pommiers ont subi un tel stress « que 50% de la récolte a été perdue cette année ». Enfin, la famille Backsen, qui élève bovins et brebis sur l’île de Pellworm, en mer du Nord, craint de voir les orages de plus en plus violents noyer ses terres, situées sous le niveau de la mer et protégées par des digues.
L’Allemagne a pourtant ouvert une brèche
Juridiquement, les requérants invoquaient la violation par l’Allemagne du droit environnemental européen, ainsi que celle des « droits fondamentaux à la protection de la propriété, du travail, de la vie et de la santé » de ses citoyens. Mais le tribunal a suivi le raisonnement de l’Etat allemand, qui plaidait l’irrecevabilité en estimant qu’une telle requête visait à « restreindre les marges de manoeuvre politiques du gouvernement ». Sur le terrain encore mouvant de la « justice climatique », où les procédures en cours s’étalent des Etats-Unis au Pakistan en passant par la Suisse ou la Norvège, l’Allemagne a pourtant ouvert une brèche avec une première affaire visant un groupe privé. Fin 2017, à la surprise générale, la cour d’appel de Hamm avait accepté d’examiner la requête d’un paysan péruvien souhaitant contraindre le géant de l’énergie RWE à réparer les effets du changement climatique dans les Andes. Ce dossier, nécessitant une démonstration minutieuse de la responsabilité de RWE, est toujours en cours.
AFP