Depuis une dizaine de jours, les habitants de Shanghai qui se sont aventurés à mettre le nez dehors se sont retrouvés face à un décor surréaliste : une ville silencieuse et déserte.
L’épidémie mortelle de coronavirus a paralysé une grande partie de la Chine, mais le changement ne sera sans doute jamais aussi frappant que dans la plus grande ville – et le premier port – du pays, la vibrante Shanghai (27 millions d’habitants). Finis les embouteillages, les trottoirs bondés et les hommes d’affaires pressés fonçant au travail: les rues sont aujourd’hui vides, sinistres, les rideaux des bars baissés et les commerces fermés. Quelques rares piétons passent comme des ombres, cachés derrière un masque de protection. Une bombe à neutrons paraît être tombée sur les lieux de sociabilisation jadis débordants de la plus peuplée des mégapoles chinoises, faisant disparaître toute vie.
Le Bund, l’élégant front de mer, regorge habituellement d’admirateurs béats devant l’architecture néoclassique européenne qui fait face au quartier d’affaires futuriste. Les barges surchargées qui agitent la surface de la rivière Huangpu ont disparu, les imposants gratte-ciels sont quasiment vides. Le calme est parfois interrompu par le bruit métallique de l’horloge au sommet des 90 mètres de l’ancien bâtiment des douanes, presque centenaire. Zhao Feng est l’un des rares à flâner sur la promenade. « On sait tous qu’il ne vaut mieux pas aller dehors, mais on porte tous un masque par précaution », explique ce quadragénaire sorti en famille. Selon lui, la ville « est tranquille parce que tout le monde a des réflexes de défense très développés ».
Cette léthargie de Shanghai est en partie due à la prolongation de plus d’une semaine des vacances du Nouvel an lunaire, une décision prise pour endiguer la propagation du virus. Les vacances doivent se terminer lundi, mais de nombreux commerces et les administrations prévoient de laisser leurs employés télétravailler. Shanghaï a évité une mise en quarantaine partielle ou totale, contrairement à d’autres régions du pays. Mais les habitants respectent largement les décisions prises par les autorités, diffusées par textos ou grâce aux tonitruants haut-parleurs installés dans toute la ville, qui demandent d’éviter de sortir sauf si cela est absolument nécessaire. Lorsqu’ils osent sortir, les piétons changent souvent de trottoir lorsqu’ils voient arriver quelqu’un en face. Dans le métro, l’un des plus grands au monde, le port du masque est obligatoire, comme dans quasiment chaque commerce resté ouvert. Et, à l’entrée de n’importe quel bâtiment public, chacun s’exécute quand il faut se laisser prendre la température corporelle avec un pistolet en plastique pointé de façon troublante vers le front.
« Réduisez votre consommation de médias qui rendent les gens malheureux »
Pour ceux qui restent enfermés à la maison, le gouvernement a prévu une batterie de conseils, comme faire de l’exercice, ou les manières d’éviter l’anxiété face à la perspective d’une mort par pneumonie. « Réduisez votre consommation de médias qui rendent les gens malheureux, vous réduirez ainsi votre angoisse et vos soucis », explique ainsi un tract gouvernemental. Chez certains, l’ennui peut se faire pesant. « La seule chose que je peux vous dire, c’est que je n’en peux plus d’être à la maison! », commente un internaute en dessous d’une publication gouvernementale sur la réduction du stress. Le superbe soleil qui a récemment baigné la ville pendant plusieurs jours en pleine épidémie de coronavirus avait poussé de nombreux habitants hors de chez eux. Ces sorties audacieuses ont immédiatement provoqué la publication d’un nouvel avertissement gouvernemental sur les réseaux sociaux : « Vous ne pouvez pas vous désinfecter en prenant le soleil ».
AFP