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L’Allemagne renvoyée à son passé sur la question de la dette


Angela Merkel a encore assuré jeudi qu'il était "hors de question" d'annuler une dette grecque qui atteint 320 milliards d'euros. (Photo AFP)

L’Allemagne, qui refuse tout effacement de la dette grecque, est renvoyée à son passé par Athènes et des économistes de renom qui lui rappellent qu’elle a bénéficié d’une réduction drastique de ses créances pour se reconstruire après la Guerre mais Berlin réfute la comparaison.

Devant les députés européens mercredi, le Premier ministre grec Alexis Tsipras, qui réclame une restructuration de la dette abyssale de son pays en échange de réformes économiques, a pris l’Histoire à témoin. « En 1953, les peuples européens ont montré à la conférence de Londres ce qu’était la solidarité européenne », a-t-il rappelé à Strasbourg. « 60% de la dette de l’Allemagne a été effacée. Ce fut la manifestation la plus significative de solidarité de l’Histoire ».

Jusqu’ici plutôt discret sur une question qui n’agite guère le débat public en Allemagne, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble a rétorqué jeudi que la situation de la Grèce, avec son économie en lambeaux, ne pouvait être comparée à celle de l’Allemagne post-nazie occupée par les Alliés en 1945. « Ce parallèle prête à confusion, ne faisons pas cette erreur », a insisté Wolfgang Schäuble lors d’un colloque à Francfort. « Évidemment, il y a eu le nazisme et les Alliés ont pris la décision fort intelligente de lever la dette allemande après la Deuxième Guerre mondiale mais les circonstances étaient totalement différentes », a-t-il estimé.

Plusieurs économistes se sont récemment tournés vers la chancelière allemande Angela Merkel pour l’interpeller sur l’énorme dette grecque alors qu’Alexis Tsipras souhaite dans ses dernières propositions transmises à Bruxelles une solution « pour régler » ce problème. Parmi les voix les plus fortes, et les plus médiatiques, celle de l’économiste français Thomas Piketty.

Une « goutte d’eau »

Dans un appel adressé à la dirigeante allemande dans un journal américain, il écrit avec plusieurs de ses pairs américains: « Dans les années 50, l’Europe était fondée sur le pardon concernant les dettes anciennes, en particulier celles de l’Allemagne, ce qui a constitué une contribution importante à la croissance et la paix de l’Après-guerre ». « L’Allemagne est LE pays qui n’a jamais remboursé ses dettes. Elle n’est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations », a-t-il également relevé dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

Angela Merkel a encore assuré jeudi qu’il était « hors de question » d’annuler une dette grecque qui atteint 320 milliards d’euros. Thomas Piketty n’est pas le premier à donner un cours d’Histoire à l’Allemagne. Il y a quatre ans déjà, le professeur d’histoire économique Albrecht Ritschl affirmait dans un entretien-choc accordé au Spiegel que « l’Allemagne (avait) été le plus mauvais payeur de dettes du XXe siècle ».

De fait, après près de deux ans de négociations avec tous ses créanciers – dont la Grèce -, la République fédérale d’Allemagne avait signé un accord le 27 février 1953 qui lui permit de diviser par deux le montant des dettes contractées avant et après la Seconde Guerre mondiale. Celles-ci concernaient des réparations de guerre décidées après le premier conflit mondial, des créances de la République de Weimar (1918-1933) et des prêts consentis en 1945 par les Alliés.

Au total quelque 30 milliards de Deutschmarks, soit 28% du Produit intérieur brut (PIB) de l’époque. Une « goutte d’eau » par rapport à la situation grecque où la dette culmine à quelque 180% du PIB et paraît insoutenable pour une économie déjà asphyxiée. A l’époque les grandes puissances, au premier rang desquelles les États-Unis, voulaient éviter de renouveler les erreurs commises après la Première guerre mondiale.

L’Allemagne avait dû s’acquitter de gigantesques réparations de guerre, une mesure perçue comme une punition et qui avait alimenté le ressentiment des Allemands dans les années 30, sur lequel a surfé Adolf Hitler pour accéder au pouvoir. A Londres, il fut également décidé que seule une partie minime des revenus tirés des exportations serait consacrée au remboursement des créances. « L’Allemagne a eu ensuite un service de la dette qui se situe bien en dessous de ce que des pays en voie de développement ou la Grèce doivent payer », explique Jürgen Kaiser, qui coordonne une initiative de plusieurs centaines d’organisations pour une réduction des dettes des pays pauvres.

Pour certains économistes, ce « cadeau » consenti à la RFA explique le miracle économique qu’a ensuite vécu le pays.

Le Quotidien/AFP