La Turquie commémore samedi la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 contre le président Recep Tayyip Erdogan, dont la riposte musclée a ébranlé un pays qui vit au rythme des purges.
Session parlementaire extraordinaire, discours nocturne et hommages aux «martyrs»: les dirigeants turcs ont préparé un programme exhaustif pour marquer l’anniversaire du soulèvement qui a fait 249 morts, hors putschistes. Si la déroute des militaires factieux est saluée par M. Erdogan comme une victoire démocratique, les purges lancées depuis par les autorités ont suscité l’inquiétude des partenaires occidentaux d’Ankara et d’organisations de défense des droits de l’Homme.
Accusant le prédicateur Fethullah Gülen d’être derrière le putsch, ce que nie l’intéressé, Ankara traque inlassablement ses sympathisants depuis un an: 50 000 personnes ont été arrêtées, plus de 100 000 limogées par vagues successives. Vendredi encore, plus de 7 000 militaires, policiers et employés de plusieurs ministères ont été radiés par décret-loi. Le même jour, le prédicateur Gülen, un ancien allié de M. Erdogan qui vit en exil aux Etats-Unis, a de nouveau rejeté tout lien avec le «putsch abject» et a dénoncé une «chasse aux sorcières» contre ses partisans.
Les opposants du président turc l’accusent de dérive autocratique depuis la tentative de coup d’Etat, la plus violente et spectaculaire forme de contestation contre lui depuis qu’il a accédé au pouvoir en 2003. Plus puissant que jamais à la faveur d’une révision constitutionnelle controversée, M. Erdogan a balayé les critiques, dénonçant un «manque d’empathie» de l’Occident, avec lequel les relations se sont tendues.
« Plus rien comme avant »
Pour commémorer le putsch manqué, les dirigeants turcs prendront part à plusieurs manifestations à Istanbul et à Ankara qui débuteront en début d’après-midi samedi et se prolongeront jusqu’à dimanche matin. Le programme commencera par une session spéciale au Parlement à 10h00 GMT. M. Erdogan participera à plusieurs événements à Istanbul, avant de prononcer à Ankara un discours à 23h32 GMT, heure précise à laquelle les putschistes ont bombardé l’Assemblée nationale.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, des avions de chasse, des hélicoptères et des chars détournés par des éléments séditieux de l’armée affirmant avoir pris le pouvoir ont semé la mort et la terreur à Istanbul et Ankara. Mais M. Erdogan contre-attaque: à travers un écran de téléphone lors d’une interview en direct avec une chaîne de télévision, il exhorte ses partisans à descendre dans la rue. Des dizaines de milliers de personnes répondent à son appel.
L’un des épisodes les plus marquants se joue sur l’un des ponts qui enjambent le Bosphore, rebaptisé depuis le «pont des Martyrs du 15 juillet», où des putschistes tirent sur des civils. Leur reddition, au petit matin, symbolisera l’échec du coup de force. «Plus rien ne sera comme avant le 15 juillet», a déclaré jeudi M. Erdogan lors d’une cérémonie d’hommage aux victimes du coup d’Etat manqué à Ankara, qualifiant la tentative de putsch de «tournant» dans l’histoire de la Turquie.
Pays fracturé
Les purges lancées après le putsch ont en tout cas bouleversé les institutions: 4 000 magistrats ont été radiés et l’armée turque, la deuxième de l’Otan, est affaiblie, avec le limogeage d’au moins 150 généraux. Le gouvernement turc affirme que de telles mesures d’exception, prises dans le cadre de l’état d’urgence en place depuis un an, sont nécessaires pour nettoyer l’Etat des éléments gülénistes qui l’ont méthodiquement infiltré pendant des décennies.
Mais, dépassant le cadre des partisans présumés de M. Gülen, cette traque a aussi touché les milieux prokurdes, dont les principaux dirigeants politiques ont été écroués, des journalistes critiques ou encore des ONG. Ces développements ont profondément polarisé la société entre pro et anti-Erdogan. Alors que tous les partis politiques avaient fait voeu d’unité après le traumatisme du 15 juillet, un an après, le paysage politique est plus fracturé que jamais.
Un mouvement de protestation pour défendre «la justice» conduit par le leader du principal parti d’opposition (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, est ainsi parvenu à mobiliser des centaines de milliers de mécontents. La Turquie réclame depuis un an à Washington l’extradition du prédicateur Gülen. Un appel resté lettre morte à ce jour.
Le Quotidien/AFP