C’est un projet hors-norme, au bout du monde: le président russe Vladimir Poutine doit inaugurer vendredi le gigantesque site gazier Yamal en Sibérie arctique, érigé dans des conditions climatiques et géologiques extrêmes, avec la participation du français Total et de la Chine.
Le groupe privé russe Novatek, à la tête du consortium international qui mène le projet, a prévu de faire partir la première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) vendredi, après avoir annoncé cette semaine le début de la production sur la première ligne, dont la capacité prévue est de 5,5 millions de tonnes par an.
Dans le port de Sabetta, par -27°C, le méthanier brise-glace transportant la cargaison vers l’Asie se découpe illuminé et fumant contre le ciel noir en plein après-midi. Baptisé « Christophe de Margerie », il a été affublé d’une moustache blanche telle que celle que portait l’ancien PDG de Total, décédé dans un accident d’avion en 2014 en Russie, auquel le pays a ainsi voulu rendre hommage.
Ce projet à 27 milliards de dollars, un des plus vastes et ambitieux du monde dans le secteur, vise à construire en trois étapes une usine de liquéfaction de gaz permettant de produire à terme 16,5 millions de tonnes par an à partir de 2019. La deuxième et troisième ligne de production démarreront respectivement en 2018 et 2019, selon Total.
Ce lancement est un premier succès pour le projet, détenu par Novatek (50,1%), le français Total (20%) — qui détient par ailleurs une participation de 18,9% dans Novatek — et les chinois CNPC (20%) et Silk Road Fund (9,9%), après des défis techniques et financiers.
Car si la péninsule de Yamal dispose de ressources considérables, il s’agit également d’une région isolée à 600 kilomètres au nord du cercle polaire et à 2.500 kilomètres de Moscou, où le thermomètre peut descendre jusqu’à -50°C.
Depuis le début du chantier fin 2013, il a fallu construire un aéroport et un port en plus des réservoirs et de l’usine elle-même, en dépit de la glace omniprésente une grande partie de l’année. De petits renards polaires parcourent désormais les allées de la véritable petite ville en pré-fabriqués orange et bleu qui a surgi des glaces en quatre ans, dotée même d’une minuscule église orthodoxe.
Juste avant le lancement, des centaines d’ouvriers s’affairaient sur le site, vêtus d’épaisses combinaisons.
« Nous utilisons des métaux spéciaux qui supportent des températures aussi basses. Aujourd’hui, nous avons -25°C mais nous sommes déjà descendus en-dessous de -50 », explique en parcourant les allées enneigées Dmitri Manakov, directeur adjoint du projet Yamal en charge du chantier.
« Cathédrale du XXIe siècle »
« Malgré des conditions d’exploitation difficiles, Yamal LNG a été livré à temps et en respectant le budget. C’est inhabituel dans l’industrie du GNL », estime Samuel Lussac, spécialiste du cabinet Wood Mackenzie.
Avec ce lancement, « Novatek, autrefois fournisseur local de gaz, devient un acteur mondial du GNL », ajoute-t-il. Le projet permettra également à Total de monter en puissance dans le secteur GNL, dont il est le deuxième acteur mondial.
« A Yamal on est partis de rien pour bâtir une cathédrale du XXIe siècle. Parmi tous les défis surmontés pour mener à bien ce projet gigantesque, je veux souligner en particulier notre faculté à maintenir le cap malgré les sanctions. Nous sommes restés fidèles à nos partenaires russes en dépit de cet aléa », s’est félicité le PDG de Total, Patrick Pouyanné.
Le financement du chantier a été compliqué par les sanctions américaines contre Novatek, qui avaient brusquement rendu impossible le financement du projet par les banques occidentales. Celui-ci a pu finalement se réaliser grâce à l’apport de fonds chinois.
Un soulagement pour la Russie, pour qui ce projet présente une importance stratégique pour démontrer sa capacité à exploiter les ressources considérables de l’Arctique et afin de renforcer sa présence sur le marché disputé du GNL et alimenter ainsi davantage les pays asiatiques, alors qu’elle exporte actuellement surtout vers l’Europe par gazoducs.
Mais selon Samuel Lussac, les premiers mois montreront « si l’usine peut fonctionner sans accroc dans l’environnement hostile de l’Arctique », et « le transport par le passage du Nord-Est en est à ses débuts, il n’y a pas de certitude quant à sa viabilité en tant que voie majeure de livraison de GNL ».
La Russie mise beaucoup sur le développement du trafic par cette route, un raccourci maritime rendu accessible par le réchauffement climatique.
A Yamal, quinze méthaniers brise-glace seront progressivement mis en service d’ici 2019 pour livrer le GNL vers l’Europe (46%) et l’Asie (54%), selon le groupe.
Le Quotidien/ AFP