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La Russie choisit les représailles économiques contre la Turquie


Le président russe Vladimir Poutine, le 24 novembre 2015 à Sotchi. (Photo : AFP)

Deux jours après le crash d’un bombardier russe abattu par l’aviation turque à la frontière syrienne, la Russie est passée jeudi aux mesures de rétorsions économiques contre Ankara, qui dément qu’elle connaissait la nationalité de l’avion et assure vouloir coopérer avec Moscou.

Depuis cet incident, le plus grave pour Moscou depuis le début de son intervention militaire en Syrie le 30 septembre, les dirigeants des deux pays ont écarté une escalade militaire dans la région, au moment où la France cherche à rallier Moscou à une coalition antijihadiste.

Mais les autorités russes, piquées au vif par la mort de deux militaires russes – l’un des deux pilotes et un soldat des troupes d’élite participant à une opération de sauvetage – ont manifestement décidé de lancer une offensive qui pourrait se révéler douloureuses tant les deux pays ont noué d’étroits liens commerciaux ces dernières années.

Mercredi, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a résumé cette ligne: pas question de «faire la guerre» mais Moscou va «sérieusement réévaluer» les relations avec Ankara après une «provocation planifiée».

Lire aussi : La Turquie promet d’éviter toute «escalade» avec Moscou

 

Invoquant des «violations répétées des normes» sanitaires, le ministre russe de l’Agriculture Alexandre Tkatchev a annoncé jeudi un renforcement des contrôles sur les produits agricoles et alimentaires importés de Turquie.

Dans la foulée, l’agence de protection des consommateurs a annoncé avoir déjà retiré de la vente 800 kilogrammes de produits à risque.

Centaines de millions de dollars

Depuis des années, la Russie applique de manière systématique des restrictions commerciales, citant le plus souvent des motivations sanitaires, en fonction de ses positions géopolitiques, de la Géorgie à l’Ukraine ou des pays de l’Union européenne.

Elle impose depuis l’été 2014 un embargo sur la plupart des produits alimentaires des pays occidentaux qui la sanctionnent pour son implication présumée dans la crise ukrainienne, ce qui affecte durement les agriculteurs européens.

Les importations turques en Russie ont dépassé trois milliards de dollars sur les trois premiers trimestres cette année, dont 280 millions de dollars pour les tomates. Au delà des produits alimentaires, selon la presse russe, les douanes russes inspectent scrupuleusement toutes les marchandises arrivant de Turquie, entraînant retards et blocages.

Dès mardi, Moscou déconseillait à ses concitoyens de se rendre en Turquie, destination favorite des Russes, invoquant la menace terroriste, privant potentiellement le pays de plus de trois millions de visiteurs par an.

Le ministre russe des Sports Vitali Moutko, par ailleurs patron de la fédération de football, a demandé aux clubs russes d’éviter tout voyage en Turquie hors événement officiel. Selon les médias turcs, une cinquantaine de touristes turcs ont été refoulés à l’aéroport de Moscou depuis mardi malgré une exemption de visa entre les deux pays.

Guerre des preuves

Ankara multiplie pourtant les gestes d’apaisement et écarte l’escalade contre laquelle ont mis en garde ses alliés de l’Otan.

Selon le quotidien turc Yeni Safak, Recep Tayyip Erdogan souhaiterait rencontrer Vladimir Poutine dès le 30 novembre à Paris en marge de la Cop21. Mais le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a assuré qu’aucune rencontre n’était actuellement discutée.

Le président français François Hollande, actuellement à l’œuvre pour raccrocher Moscou à la coalition internationale antijihadiste après les attentats de Paris, s’est entretenu avec M. Erdogan pour appeler à la «désescalade». Il doit rencontrer jeudi soir au Kremlin son homologue russe Vladimir Poutine, qui a vivement réagi à l’incident, qualifié de «coup de poignard dans le dos».

Moscou et Ankara s’opposent de longue date au sujet de la crise syrienne. La Turquie a fait du départ du président Bachar al-Assad la condition sine qua non de tout règlement politique du conflit, qui a causé la mort de 250 000 personnes en quatre ans et demi. A l’inverse, la Russie soutient contre vents et marées, avec l’Iran, le président syrien.

Concernant les circonstances dans lesquelles les chasseurs turcs F-16 ont abattu le Su-24 russe, Moscou et Ankara campent sur leurs versions diamétralement opposées. La Turquie a publié mercredi des enregistrements censés prouver que l’avion russe avait été abattu dans son espace aérien.

«Ici l’armée de l’air turque. Vous approchez de l’espace aérien turc. Dirigez-vous vers le sud immédiatement», peut-on entendre sur l’un de ces enregistrements, en anglais.

Les forces armées turques ont assuré que la nationalité de l’avion «n’était pas connu» et avoir fait des efforts significatifs pour essayer de retrouver les deux pilotes du Su-24. Elles se sont dites disponibles pour «toute forme de coopération».

Moscou affirme de son côté que le Su-24 a été abattu dans le ciel syrien: plusieurs chaînes de télévision russes pro-Kremlin diffusaient ainsi le témoignage d’un homme présenté comme le pilote survivant, qui assurait n’avoir reçu «aucune sommation» de l’armée turque.

AFP/M.R.