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Des eurodéputés veulent une enquête sur la promotion du bras droit de Juncker


Jean-Claude Juncker et Martin Selmayr (au second plan à droite) au Parlement européen à Strasbourg le 6 février. (Photo: AFP)

La promotion du chef de cabinet de Jean-Claude Juncker au poste de secrétaire général de la Commission européenne fait des vagues, posant notamment la question du respect de la procédure. Des eurodéputés demandent l’ouverture d’une enquête.

Martin Selmayr a connu une ascension éclair mercredi 21 février, passant dans la même journée du statut de chef de cabinet de Jean-Claude Juncker à celui de secrétaire général adjoint puis de secrétaire général de la Commission européenne.

La promotion, qualifiée par certains de « miraculeuse », fait des vagues. Martin Selmayr, un ancien de Bertelsmann, proche des chrétiens-démocrates allemands, avait d’abord été recruté en 2004 comme porte-parole à la Commission puis comme chef de cabinet de Viviane Reding lorsqu’elle était commissaire européenne. Reconnu pour son intelligence, sa capacité de travail et sa bonne connaissance des rouages institutionnels de l’UE, cet Allemand de 47 ans traîne nombre de sobriquets qui en disent long sur la renommée qu’il s’est forgée à Bruxelles : «l’Eminence grise», «le Prince de la nuit», «Richelieu» ou encore «Raspoutine».

« Des relations difficiles »

Jean-Claude Juncker, dont le mandat s’achève en novembre 2019, a l’habitude de le surnommer le «Monstre». «Lui et moi nous avons parfois des relations difficiles avec les autres commissaires ou les directeurs généraux qui veulent laisser la Commission se faire influencer depuis l’extérieur», a déclaré le président de la Commission au cours d’une conférence de presse le 21 février à Bruxelles.

Martin Selmayr est considéré comme l’inspirateur de l’architecture de l’actuelle Commission au sein de laquelle les commissaires sont encadrés par des vice-présidents, permettant au président et à son chef de cabinet de se poser en arbitres et de tenir les rênes. Des observateurs avancent que le vrai patron de la Commission c’est Selmayr, ajoutant qu’en 2014 c’est davantage lui qui est allé chercher Juncker que le contraire.

La haute main sur 30 000 fonctionnaires

Martin Selmayr a désormais la haute main sur les quelque 30 000 fonctionnaires de l’exécutif européen, fonction stratégique dans l’application de la politique de la Commission. «J’ai proposé et le collège des commissaires a accepté de nommer Martin Selmayr au poste de secrétaire général. J’ai décidé de choisir quelqu’un qui connaît la maison et qui a des ramifications partout en Europe», a justifié Jean-Claude Juncker lors de la même conférence de presse à Bruxelles. L’entourage du président a depuis répété que la nomination de Martin Selmayr est conforme au règlement.

Ce que conteste le quotidien français Libération, notant que Martin Selmayr n’était que «directeur» alors que les grades requis pour postuler à la fonction sont ceux de directeur général (DG) ou de directeur général adjoint (DGA). Il ne se serait pas davantage plié aux auditions encadrant ce type de nomination, seul le commissaire aux Ressources humaines, Günther Oettinger, ayant été formellement consulté. Le 21 février, plusieurs commissaires ont marqué leur surprise lorsqu’ils ont été informés de la nomination, regrettant pour le moins d’avoir manqué de temps pour examiner la candidature de l’Allemand.

Rapide et opaque

«À notre connaissance, le collège des Commissaires est dans ses prérogatives. Il a respecté la procédure», balaye sous couvert d’un strict anonymat un dirigeant de l’Union syndicale à Bruxelles, l’une des organisation défendant les intérêts des fonctionnaires européens. «Une évolution de carrière est possible tous les deux ans», précise le syndicaliste, sans relever que Martin Selmayr a bénéficié de deux promotions en une seule journée.

Le ton conciliant du syndicaliste s’oppose à l’indignation de Philippe Lamberts, coprésident des Verts au Parlement européen, pour qui «il n’y a que Xi Jinping qui peut se permettre une telle nomination».

Mardi, les groupes EELV (écologistes) et GUE (gauche radicale) ont réclamé dans une lettre aux autres groupes politiques du parlement qu’«une enquête officielle» soit menée au sein de la commission du Contrôle budgétaire sur la nomination de Selmayr. «Il existe en effet de sérieuses préoccupations quant à l’application correcte des règles de procédure», écrivent Bart Staes et Dennis de Jong, porte-paroles d’EELV et du GUE. «Apparemment, toute la procédure s’est déroulée de manière assez opaque et rapide», ajoutent-ils.

Incertitude budgétaire

La magnanimité des membres de l’Union syndicale vis-à-vis de leur nouveau patron dénote peut-être d’une volonté de ne pas se heurter d’emblée à un homme réputé autoritaire, sinon cassant et humiliant. «Ce qui compte pour nous, c’est qu’il protège la fonction publique européenne dans le cadre des défis qui nous attendent. Il faut qu’il nous donne les moyens de travailler», dit au Quotidien le syndicaliste déjà cité. La nomination du bras droit de Jean-Claude Juncker intervient dans un contexte budgétaire incertain alors que l’Union européenne devra, après le Brexit, se passer de l’importante contribution du Royaume-Uni (12,8 milliards d’euros en 2016).

«Il faudra aussi nous fournir les ressources pour accomplir de nouvelles missions dans les domaines des migrations et de la défense», poursuit le syndicaliste, reconnaissant qu’«avec Martin Selmayr, nous attendons de voir».

Quoi qu’il en soit, l’Allemand n’est pas assuré de conserver un poste dont la durée dans le temps n’est pas définie: «Le prochain président peut décider de confirmer ou non le secrétaire général dans sa fonction», a souligné Jean-Claude Juncker. Le patron de l’exécutif européen sait de quoi il parle puisque Martin Selmayr est le troisième à occuper ce poste depuis son arrivée à Bruxelles, il y a trois ans et demi.

Fabien Grasser

Le précédent David O’Sullivan

La nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission européenne ne constitue par un précédent pour un chef de cabinet du patron de l’exécutif européen. Avant lui, l’Irlandais David O’Sullivan avait été nommé à cette fonction en 2000 après avoir occupé pendant un an le poste de chef de cabinet du président de la Commission européenne de l’époque, Romano Prodi. Il a été remplacé presque dès l’entrée en fonction de la Commission Barrosso I, en 2005, par une autre irlandaise, Catherine Day qui a occupé ce poste sensible jusqu’en juillet 2015. Elle avait alors fait place au néerlandais Alexander Italianer qui vient de céder à son tour le fauteuil de secrétaire général à Martin Selmayr.