La reprise par les forces irakiennes de Mossoul, un des principaux bastions de Daech (EI), constitue un revers majeur pour le rêve de « califat » des jihadistes mais ne signe pas pour autant sa mort, estiment des experts.
La « libération », annoncée dimanche par le bureau du Premier ministre, de la deuxième ville d’Irak, dernier grand fief urbain de l’EI dans ce pays, est lourde de symboles. C’est à Mossoul, tombée aux mains des jihadistes en juin 2014, que leur chef Abou Bakr al-Baghdadi avait donné, le mois suivant, son premier un prêche en tant que leader de l’organisation pour appeler les musulmans à lui faire allégeance. C’était sa seule apparition publique connue. Il avait prononcé ce prêche à la mosquée Al-Nouri que Daech a détruite avec son emblématique minaret penché du XIIe siècle.
Le « prestige » entamé
La Russie a affirmé le 22 juin avoir « selon une forte probabilité » tué Abou Bakr al-Baghdadi dans une frappe fin mai en Syrie, une information qui n’a été confirmée par aucune autre source. Forte d’une population de deux millions d’habitants il y a trois ans, la grande ville du Nord était l’une des capitales de facto de Daech, avec Raqqa en Syrie voisine. Elle était l’un des principaux pôles de l’administration du « califat » et un emblème de sa puissance. Les jihadistes l’ont défendue âprement face à des dizaines de milliers de membres des forces irakiennes, soutenus par l’aviation de la coalition internationale dirigée par les États-Unis.
« C’est un coup majeur porté au prestige de l’EI », résume David Witty, analyste et colonel à la retraite des forces spéciales américaines. C’est aussi une nouvelle défaite militaire pour l’organisation jihadiste, qui n’a cessé de perdre du terrain ces dernières années. A son apogée quand il avait lancé en juin 2014 une vaste offensive éclair en Irak, Daech contrôlait un territoire comparable à la Corée du Sud, avec une population de plus de 10 millions d’habitants. Il a désormais perdu plus de la moitié de sa superficie. L’organisation jihadiste a également perdu des milliers de combattants, que les contingents de jihadistes étrangers, aujourd’hui moins nombreux, peinent à compenser.
Toujours une menace à l’échelle mondiale
Si la chute de Mossoul isole et affaiblit un peu plus l’organisation extrémiste, il est toutefois encore trop tôt pour évoquer une victoire définitive. « Il ne faut pas considérer que la reprise de Mossoul sonne le glas de l’EI », prévient Patrick Martin, analyste à l’Institut pour l’étude de la guerre à Washington, en rappelant que le groupe « détient toujours un territoire urbain significatif », notamment en Syrie, où une offensive est en cours pour reprendre la ville de Raqqa.
Même en Irak, où les jihadistes contrôlent encore plusieurs régions, déclarer le « califat » mort « voudrait dire qu’il ne peut plus contrôler de terrain et gouverner », note-t-il. Pour cela, Bagdad « doit prendre des mesures pour s’assurer que les gains sur l’EI sont consolidés dans la durée », sinon le groupe « pourrait, en théorie, ressurgir et s’emparer de nouvelles zones urbaines ». Pour continuer à faire exister son « califat », Daech a amorcé un changement de stratégie, en se recentrant sur des tactiques de guérilla et des attaques à la bombe. « A court terme en Irak, l’EI va passer au terrorisme et à l’insurrection au lieu d’essayer de contrôler ouvertement de vastes régions », estime David Witty. L’organisation a déjà répondu à des revers militaires par de sanglantes attaques ciblées, rappelle Patrick Martin.
Par ailleurs, même sans assise territoriale, Daech reste une menace à l’échelle mondiale. En trois ans, plusieurs milliers de volontaires du monde entier ont rejoint l’organisation jihadiste dans la zone irako-syrienne. Parmi eux, un nombre indéterminé ont regagné leur pays. L’idéologie et la propagande de Daech conservent un fort retentissement, qui a fait naître de nombreuses cellules jihadistes au-delà des frontières géographiques du « califat ».
Le Quotidien/AFP
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