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La mafia s’installe en Europe de l’Est


"Les mafieux cherchent les petits entrepreneurs en difficulté, ceux qui ont des problèmes à obtenir un prêt auprès d'une banque qui demande des garanties, etc. La mafia prête l'argent et à partir de ce moment-là, l'entreprise est finie". (illustration AFP)

La mafia commence à étendre ses tentacules en Europe de l’Est après avoir gangréné le tissu économique ou social dans d’autres pays européens où elle agit comme les cellules cancéreuses, estime un expert.

La présence de la mafia italienne en Allemagne, en France ou en Espagne est connue de longue date, mais désormais celle-ci se tourne vers les pays de l’Europe de l’Est, membres de l’Union européenne, a expliqué dans un entretien le colonel des carabiniers, Cristiano Tomassi, de la Direction nationale des enquêtes anti-mafia (DIA).

Début mars, la police slovaque a relâché sept Italiens interpellés après le meurtre d’un journaliste qui enquêtait sur des faits de corruption en lien avec la mafia italienne. « Ils vont de plus en plus vers les pays de l’Est. Une récente opération a touché un clan qui avait investi en Roumanie, dans des entreprises de construction, des centaines d’appartements, des Spa, un patrimoine de 250 millions d’euros a été saisi », explique cet expert de la lutte anti-mafia.

« Les mafieux raisonnent en tant qu’économistes : les taux de croissance, les perspectives de développement, sont certainement supérieurs même à ceux que peut avoir une Allemagne prospère. Des enquêtes en Slovaquie (…) ont montré la présence des hommes de la ‘Ndrangheta », la mafia calabraise, « dont l’objectif était de profiter des contributions communautaires », poursuit-il. La mafia brasse des quantités d’argent incroyables en raison des marges qu’elle a sur le trafic de drogue et les diverses saisies en donnent la mesure. « Au cours de l’opération Gambling (en Calabre en 2017) on a mis sous séquestre un patrimoine d’environ deux milliards d’euros créé dans le domaine des paris illégaux, des jeux en ligne. Cette saisie comprenait des capitaux, des entreprises, 1 500 salles de paris, de nombreux biens immobiliers », rappelle le colonel Tomassi.

Ces moyens financiers permettent alors aux mafieux d’étendre leur territoire. Fin mars, les autorités policières autrichiennes et italiennes ont démantelé un réseau de trafiquants qui fournissait des armes à un clan de la mafia napolitaine, la Camorra, tandis qu’en décembre ce sont 90 mafieux liés à la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, qui ont été arrêtés dans six pays différents.

Être mafieux, « c’est pour toujours »

Évoquant le cas de quartiers entiers achetés dans diverses villes européennes par la mafia, mais qu’il n’a pas identifiés, il explique de manière imagée le danger représenté par ce phénomène. « Pourquoi semble-t-il que dans ces quartiers il ne se passe rien, ils sont tranquilles ? Parce qu’il y a un contrôle mafieux fort mais ce n’est pas un contrôle vertueux, c’est comme un cancer qui progresse et où il y a un cancer il n’y a plus de vie », explique-t-il. Certes, la petite criminalité n’existe plus, « mais l’économie saine non plus », ajoute le spécialiste.

Dans son dernier rapport semestriel sur la mafia, la DIA souligne que cette dernière « pollue les circuits financiers et de crédits, perturbe la concurrence et le bon fonctionnement des marchés en ayant recours à des instruments étrangers au monde des entrepreneurs légaux, favorise les activités au noir et la soustraction de revenus financiers au prélèvement fiscal ». Quand il y a crise économique, comme cela a été le cas ces dernières années en Europe, la mafia réussit à s’infiltrer encore plus facilement.

« Les mafieux cherchent les petits entrepreneurs en difficulté, ceux qui ont des problèmes à obtenir un prêt auprès d’une banque qui demande des garanties, etc. La mafia prête l’argent et à partir de ce moment-là, l’entreprise est finie, elle passe tôt ou tard sous la coupe de la mafia qui ne cesse de grimper dans son capital (en raison de ses taux usuriers) jusqu’à évincer le propriétaire », poursuit l’officier supérieur. « Aucun commerçant honnête, hollandais, français, allemand, ne pourra jamais entrer en concurrence avec une force pareille », met en garde l’expert. « Quand on est mafieux, c’est pour toujours. C’est un choix de vie, on décide d’épouser un style de vie, une idée, et c’est ce qui fait la différence avec le crime organisé simple ».

LQ/AFP