Alors que la doyenne de l’humanité, la Française soeur André, est décédée la semaine dernière à 118 ans, le sujet de la longévité humaine continue de diviser les chercheurs: notre existence est-elle biologiquement limitée ou peut-elle s’accroître indéfiniment?
À la fin du XVIIIe siècle, Buffon estimait qu’une personne en bonne santé qui n’aurait subi aucun accident ni souffert d’aucune maladie pourrait vivre cent ans maximum. Les centenaires étaient alors très rares. Mais avec l’amélioration des conditions de vie et les progrès de la médecine, les hypothèses sur la durée limite de la vie humaine ont progressivement été repoussées.
En 1995, un nouveau cap a été franchi lorsque la Française Jeanne Calment a fêté son 120e anniversaire. Morte en 1997 à l’âge de 122 ans, elle reste à ce jour la personne ayant vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité dont l’état civil a été vérifié. Plus généralement, depuis 1950, le nombre de centenaires français a décuplé tous les dix ans pour atteindre 27.500 fin 2021, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined).
Ils et (surtout) elles pourraient être sept fois plus nombreux en 2060. Une multiplication couplée à l’apparition depuis les années 1980 de « super-centenaires », âgés de 110 ans ou plus, qui repose la question de la limite de la longévité humaine. Mais le sujet divise les chercheurs. Il y a d’un côté ceux qui défendent l’idée que la durée de vie est bornée par des contraintes biologiques.
Dans un article publié dans Nature en 2016, des généticiens ont montré qu’il n’y avait pas eu d’amélioration de la longévité humaine depuis la fin des années 1990.
S’appuyant sur des données démographiques, ils ont découvert que depuis la mort de Jeanne Calment, la durée de vie maximale des humains a régressé, quand bien même il y a de plus en plus de personnes âgées dans le monde. « Ils concluent que la durée de vie humaine a une limite naturelle et que la longévité est limitée aux alentours de 115 ans », expose à l’AFP le démographe et spécialiste des centenaires Jean-Marie Robine.
« Manipulations génétiques »
« Mais cette hypothèse est en partie contestée par nombre de démographes », poursuit-il. Ainsi, une étude parue en 2018 dans Science soutient, elle, l’idée que le taux de mortalité augmente avec l’âge mais ralentit à partir de 85 ans et plafonne à 50% ou 60% par an vers 107 ans.
« Avec cette théorie, si on a 12 personnes de 110 ans, il va en survivre 6 à 111 ans, 3 à 112 ans etc… », décrypte M. Robine. Mais avec « 100 centenaires, il y en aura 50 à 111 ans, 25 à 112 etc… Grâce à un « effet volume », il n’y a plus de limites fixes à la longévité ».
Dans une étude française à paraître en 2023, le démographe de l’Inserm et son équipe montrent toutefois que la mortalité continue plutôt d’augmenter au-delà de 105 ans. Un argument en faveur d’une limite biologique à l’existence ? M. Robine ne va pas jusque-là. « On va continuer de faire des découvertes, comme il y en a toujours eu, et petit à petit améliorer l’état de santé des plus âgés », anticipe-t-il.
Comme lui, de nombreux chercheurs préfèrent rester très prudents: « il n’y a pas pour le moment de réponse définitive », affirme ainsi à l’AFP France Meslé, directrice de recherche à l’Ined. « Même s’ils vont en augmentant, les effectifs des générations qui arrivent à de très grands âges sont encore assez réduits et on ne peut toujours pas faire d’estimations statistiques significatives », argumente-t-elle.
En résumé, il faudra attendre d’avoir suffisamment de super-centenaires pour pouvoir tirer des conclusions fiables. Enfin, certains spécialistes du vieillissement, comme le gériatre Eric Boulanger, n’excluent pas l’entrée en jeu d’autres facteurs lors des années à venir. Il avance auprès de l’AFP que des « manipulations génétiques » pourraient repousser l’âge de la mort, pour certains, à 140 ou 150 ans.