L’Ukraine a accusé jeudi la Russie d’avoir tiré un missile intercontinental contre son territoire, qui serait un premier usage de ce type d’armement en conflit dans l’Histoire et qui, même sans charge nucléaire, constituerait une escalade sans précédent de la guerre et des tensions russo-occidentales.
Cette arme appartient à l’arsenal de dissuasion nucléaire. Son usage n’a pas été démenti par la Russie, qui depuis plusieurs jours utilisait une rhétorique de plus en plus belliqueuse, évoquant l’arme atomique en raison de l’utilisation par l’Ukraine de missiles américains contre le territoire russe.
« Je n’ai rien à dire sur ce thème », a répondu le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, interrogé par des médias lors d’un briefing quotidien. La porte-parole de la diplomatie russe a elle reçu, en direct lors d’une conférence de presse télévisée, l’ordre de ne rien dire sur ce sujet.
« Un missile balistique intercontinental a été lancé depuis la région russe d’Astrakhan », a affirmé dans la matinée l’armée de l’air ukrainienne dans un communiqué. C’est la ville ukrainienne de Dnipro qui a été visé. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a indiqué que des expertises sont encore en cours, mais que le tir avait « les caractéristiques » d’un missile intercontinental. Il a aussi qualifié la Russie de « voisin fou » utilisant l’Ukraine comme « terrain d’essai » militaire.
Ces missiles, qui n’avaient jamais été utilisés en conflit mais que la Russie teste régulièrement sur son territoire, sont conçus pour transporter des ogives nucléaires et frapper à des milliers de kilomètres de distance.
« C’est la première fois. Nous n’avons jamais eu ce genre de missiles avant », a précisé à l’AFP une source au sein de l’armée ukrainienne, ajoutant qu’il était « évident » que celui-ci ne portait pas de charge nucléaire.
Cet usage, s’il est confirmé, marque une énième aggravation du conflit, alors que Moscou avait dit préparer une réponse « appropriée » au recours par l’Ukraine à des missiles occidentaux en territoire russe, vu comme une ligne rouge.
Un tel tir marquerait « une nouvelle escalade » de la Russie, a commenté un porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano.
« Ne pas commenter »
La frappe a visé la ville de Dnipro, dans le centre-est de l’Ukraine, selon l’armée de l’air qui n’a pas identifié non plus le modèle de missile utilisé. L’étendue des dégâts n’était pas claire dans l’immédiat.
Deux personnes ont été blessées par des frappes russes à Dnipro jeudi, selon le gouverneur régional Serguiï Lyssak.
La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a elle reçu lors d’un point-presse l’ordre de ne pas s’exprimer à ce sujet, alors que son micro fonctionnait.
Maria Zakharova a interrompu son briefing, diffusé en direct, pour répondre à un appel téléphonique. On entend une voix au bout du fil lui demandant de « ne pas commenter » la frappe « de missiles balistiques » sur l’usine de fabrication de satellites Pivdenmach, située dans le centre de Dnipro.
Selon la chaîne Telegram Rybar, proche de l’armée russe, c’est justement cette usine, autrefois appelée « Ioujmach », qui « pourrait » avoir été ciblée par un missile intercontinental de type RS-26 Rubezh. Cela serait un « signal » envoyé à l’Ukraine, estime Rybar.
Un expert de l’université d’Oslo interrogé par l’AFP, Fabian Hoffmann, a lui estimé qu’une telle frappe avait pour Moscou une valeur « politique » davantage que militaire.
Mises en garde nucléaires
L’attaque se produit au moment où les tensions sont au plus haut entre Moscou et les Occidentaux, à l’approche du retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier anticipé comme un tournant.
La Russie, qui a envahi l’Ukraine il y a bientôt trois ans, a multiplié ces derniers jours les frappes d’ampleur en Ukraine et les avertissements à l’encontre des alliés de Kiev.
Le ministère russe de la Défense a annoncé jeudi avoir abattu « deux missiles de croisière +Storm Shadow+ de fabrication britannique » tirés par l’Ukraine et qui visaient son territoire, sans préciser le lieu ni le moment de cette interception.
Cela confirme la première utilisation par Kiev de ces armements contre le territoire russe.
Plus tôt dans la semaine, l’Ukraine avait utilisé pour la première fois des missiles américains ATACMS, d’une portée de 300 km, contre une installation militaire dans la région russe de Briansk, après avoir reçu l’autorisation de Washington.
Plusieurs pays occidentaux fournissaient des missiles à longue portée à l’Ukraine mais ne permettaient pas leur usage en territoire russe, craignant la réaction de Moscou. La Russie a renforcé ces derniers jours ses mises en garde nucléaire.
Selon sa nouvelle doctrine sur l’emploi de l’arme nucléaire, officialisée mardi, la Russie peut désormais y recourir en cas d’attaque « massive » par un pays non nucléaire mais soutenu par une puissance nucléaire, référence claire à l’Ukraine et aux États-Unis. Le Kremlin a toutefois assuré jeudi que la Russie fera « le maximum d’efforts » pour éviter un conflit nucléaire, disant espérer que « d’autres pays » auraient « cette posture responsable ».
Avancée dans l’est
Dix-sept autres personnes ont été blessées par une autre attaque à Kryvyï Rig, une ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Dnipro, d’après le gouverneur Lyssak.
L’armée russe continue parallèlement de progresser dans l’est de l’Ukraine. Le ministère russe de la Défense a revendiqué jeudi la prise d’une petite localité près de la ville de Kourakhové, dans l’est de l’Ukraine.
Les soldats de Moscou se rapprochent aussi de Pokrovsk, un autre centre urbain de la région de Donetsk vu comme stratégique pour la logistique de l’armée ukrainienne. Ces progrès sont particulièrement inquiétants pour Kiev, qui craint d’être poussé à la table des négociations en position défavorable.
Donald Trump, vainqueur de la présidentielle américaine, a une position très critique sur l’aide versée à l’Ukraine par son pays. Il a maintes fois promis de mettre fin à la guerre « en 24 heures », sans néanmoins étayer son plan.