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Kenya : la lutte contre le sida reste toujours une priorité


Une jeune kenyane de 13 ans Claudia Aulo prend ses médicaments pour traiter le sida le 9 novembre 2015 dans le comté de Homa Bay (ouest du Kenya). (Photo : AFP)

Dans le comté d’Homa Bay qui borde le lac Victoria, dans l’ouest du Kenya, le sida reste une préoccupation majeure. Chaque jour, une équipe de Médecins sans Frontières (MSF) part en arpenter à pied les endroits les plus isolés pour convaincre les gens de se faire dépister.

Entre les bananiers, manguiers, avocatiers et les plantations de maïs, Patrick Kibira Ochoro et ses hommes sillonnent les sentes ravinées par les pluies de novembre. Ils frappent aux portes, prennent le temps de discuter, d’expliquer et tentent de persuader.

«Pour de nombreuses personnes ici, le VIH (virus du sida) n’est pas vraiment un problème. Pour eux, la priorité, c’est la nourriture et l’eau», souligne Patrick. «C’est pour ça qu’on leur parle, pour s’assurer qu’ils comprennent que c’est important pour eux d’être testés au moins une fois par an.»

Le nombre d’infections par le VIH a beau avoir diminué de 35% sur les 15 dernières années au niveau mondial, selon l’ONU, la lutte contre le sida est encore loin d’être gagnée à Homa Bay. Le comté a la proportion de malades du sida la plus forte du Kenya et l’une des plus élevées au monde.

Confrontée à la sinistre réalité des chiffres, MSF a modifié son approche: l’ONG a décentralisé son mode d’action pour aller au-devant des gens, plutôt qu’attendre qu’ils viennent à elle.

MSF concentre ses efforts sur le sous-comté de Ndhiwa, à l’intérieur des terres. Une étude menée par l’ONG en 2012 portant sur Ndhiwa avait révélé des chiffres très inquiétants. Le sous-comté présentait un taux de prévalence (pourcentage de personnes infectées) de 24,1% – contre 5,5% la même année à l’échelon national, selon des chiffres de l’Onusida – et un taux d’incidence (pourcentage de nouveaux cas d’infection) de 2% – contre 0,25%. Selon cette étude, 41% des personnes infectées ne savaient pas qu’elles étaient séropositives.

Polygamie et rejet de la circoncision

Un ensemble de raisons socioculturelles expliquent que cette région est plus touchée que d’autres. L’échange de faveurs sexuelles contre du poisson y est une pratique courante et la prostitution y est répandue.

Autre facteur: le remariage des veuves avec un homme de la famille de l’époux défunt – qui ainsi «hérite» de la veuve – est une coutume de l’ethnie Luo qui habite la zone. Avant de retrouver leur nouveau mari, ces femmes doivent avoir des relations sexuelles avec un homme, dont la fonction est de les «purifier».

Lillian Atieno Ochola, 37 ans, est devenue séropositive il y a 14 ans, après un tel «héritage»: la maladie lui a été transmise par son second mari et elle a elle-même contaminé son fils en le nourrissant au sein, avant de savoir qu’elle était malade.

Depuis, elle essaie de mettre en garde ses voisines. «Je conseille vivement aux autres femmes de ne pas se laisser +hériter+ avant que leur futur mari soit testé», dit-elle, assurant que les gens «réagissent bien, demandent conseil et se font dépister».

Les Luo pratiquaient aussi traditionnellement la polygamie. Même si elle n’est plus trop ouvertement en usage, les hommes continuent tout de même souvent à avoir des concubines cachées. Enfin, les Luo rejetaient traditionnellement la circoncision. Or, celle-ci est recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), car elle réduit le risque de contracter le VIH de 60% selon plusieurs études.

Si les médicaments sont largement disponibles au Kenya – 72% des Kényans séropositifs étaient sous traitement par antirétroviraux en 2011, selon l’OMS – de nombreux autres obstacles restent donc à surmonter. «Aujourd’hui, l’essentiel des défis dans la lutte contre le VIH sont socioéconomiques et culturels plutôt que biomédicaux», observe le Dr Lawrence Oteng, ministre de la Santé pour le comté d’Homa Bay.

Les hommes ne veulent pas être testés

L’une des difficultés majeures tient au rejet dont sont encore souvent l’objet les malades du sida. Beaucoup s’efforcent de cacher leur maladie et finissent ainsi parfois par ne plus suivre correctement leur traitement. «Nous continuons à combattre la stigmatisation», souligne M. Oteng.

Accompagnée d’un ancien du village, pour être mieux acceptée, l’équipe de MSF arrive à une première maison. S’engagent de longues palabres avec une femme, qui finit par accepter que ses enfants soient testés, après avoir admis être elle-même séropositive et sous antirétroviraux.

«Nous essayons de promouvoir une approche centrée sur la famille», explique Patrick. «Ce n’est pas facile. Certains refusent, certains deviennent hostiles, mais si le conseiller s’y prend bien, ils sont généralement très à l’écoute.» Plus loin un homme se laisse à son tour convaincre de faire dépister ses enfants, mais refuse que le test soit pratiqué sur lui. «Le plus gros défi, c’est d’atteindre les hommes», souligne Patrick. «Beaucoup ne veulent pas être testés.»

Et démontrer l’intérêt de la circoncision est difficile. Dans la culture luo, la sexualité est censée favoriser les plantations et les récoltes, et la perspective de devoir y renoncer le temps d’une opération, même pour quelques jours, est souvent mal perçue.

«Quand la VMC (circoncision masculine volontaire, ndlr) a commencé, il y a eu une grande résistance de la communauté luo», note Patrick. «Mais les jeunes ne sont peut-être plus aussi attachés à la culture. Alors dans quelques années, la jeune génération regardera peut-être la circoncision d’un point de vue médical.»

Depuis que le projet de porte-à-porte a été lancé par MSF en août, 5 200 personnes ont été testées. Pour le compléter, l’ONG dispose de tentes itinérantes où les gens peuvent venir d’eux-mêmes pour être dépistés ou circoncis.

AFP/M.R.