Les homosexuels de Jérusalem, traumatisés par un meurtre commis récemment lors de la Gay Pride locale, ont l’impression de vivre sous la menace permanente des extrémistes juifs alors que non loin de là Tel Aviv est l’une des plus vibrantes métropoles mondiales de la culture gay.
« Tel Aviv est une bulle où tout est possible, pour les homos et pour tout le monde. Si tu as envie de te balader avec un poulet sur la tête, tu peux. Être homo à Jérusalem, c’est un combat de tous les jours », résume Moran, serveuse au Video, le seul bar gay de Jérusalem, caché au fond d’une ruelle du centre-ville. « Décider à quel moment ou dans quelle rue je peux prendre ma petite amie par la main, c’est un combat ».
Le 30 juillet , Yishaï Shlissel, un ultra-orthodoxe, s’est rué sur le défilé de la Gay Pride de Jérusalem, blessant six personnes à coups de couteau, dont Shira Banki, 16 ans. Elle est morte dimanche.
Shlissel venait de passer 10 ans en prison pour une agression similaire lors de la Gay Pride de Jérusalem en 2005, qui avait fait trois blessés. Dans une lettre écrite avant son passage à l’acte et citée par le site d’information Ynet, il décrit les homosexuels comme des « pécheurs » et la parade comme un « défilé des abominations dans la ville du Souverain avec pour seul but de profaner son nom ».
En Israël, les « marches des fiertés » se déroulent généralement sans dérapage. Celle de Tel Aviv, à 70 km de Jérusalem, est l’une des plus importantes et des plus festives au monde. Mais dans la très religieuse ville de Jérusalem, depuis 2002, les participants défilent sous les huées homophobes et une protection policière renforcée.
Une communauté « brisée moralement »
« A Tel Aviv, on marche pour célébrer ce que l’on a obtenu. A Jérusalem, on marche pour exiger ce qu’on doit (encore) obtenir », dit Nadav, un des fondateurs de Havrouta, une association qui s’occupe d’homosexuels juifs religieux et dont le char ouvre traditionnellement le défilé en musique – du folklore religieux – et en kippa.
La Maison Ouverte de Jérusalem, unique institution LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, ndlr) de la ville, fait mentir son nom en gardant par précaution sa porte soigneusement fermée et verrouillée par un code.
Derrière la porte dépourvue de signe distinctif sinon une faïence multicolore, plusieurs dizaines de jeunes s’affairaient lundi, banderoles à même le sol, en vue des funérailles et de la veillée à la mémoire de Shira Banki. « Notre communauté est brisée moralement », avoue Dana Sharon, présidente de la Maison Ouverte.
« Depuis jeudi, on accueille ici des dizaines de personnes en état de choc, déprimées et terriblement angoissées », ajoute la militante. Elle est persuadée que cette agression n’est pas la dernière. « Les choses allaient mieux depuis quelques années, nous recevions moins de menaces et les dernières Gay Pride se passaient finalement bien. Nous n’aurions pas dû nous réjouir aussi vite », dit-elle.
Naissance d’un mouvement de « zélotes »
Le meurtre de Shira Banki, suivi le lendemain d’une attaque de colons contre une maison palestinienne dans laquelle un enfant de 18 mois est mort brûlé vif, a relancé en Israël le débat sur la montée d’une forme de fanatisme juif et sur l’inaction du gouvernement de droite de Benjamin Netanyahu.
Si Yishaï Shlissel est considéré comme un « loup solitaire », pour Nadav, le militant de l’association des gays religieux, Israël est en train de donner naissance à un mouvement de « zélotes », secte juive violemment antiromaine dans l’antiquité.
« Il a fait ce qu’il a fait car il sait que la plupart des gens de sa communauté soutiennent, si ce n’est la forme de son acte, au moins sa démarche homophobe », estime t-il. Israël est considéré comme un pays pionnier pour la promotion et le respect des droits des homosexuels, notamment en terme d’adoption pour les couples de même sexe ou de prévention des discriminations.
« L’opinion publique ne se fait pas à ces changements. Peut-être qu’en termes de droits et d’acceptation, on est là », dit-il en levant la main en l’air, « mais pour l’Israélien moyen, nous les homosexuels, on est en fait tout en bas », déplore-t-il.
AFP