Sur l’écran de l’ordinateur, le doux visage de Naomie Lichthaus apparaît. Cette Israélienne de 86 ans est en communication avec un centre d’appels qui soutient des rescapés de la Shoah, isolés et particulièrement vulnérables face à la pandémie.
Dans son petit appartement de Haïfa, ville portuaire où de nombreux juifs venus d’Europe ont posé bagages, Naomie Lichthaus dispose d’une tablette sur laquelle elle peut contacter ou être contactée par le centre d’appels de l’association Yad Ezer La-Haver (« Une main tendue à un ami », en hébreu) qui vient en aide à des rescapés du génocide nazi.
Ce dimanche de janvier, Naomie demande ainsi à recevoir un déambulateur. Ni une ni deux, Mourad Marehi, un jeune bénévole, enfourche sa moto et lui apporte l’appareil. « On est entre de bonnes mains », se réjouit la dame à l’arrivée de Mourad, disant toutefois pudiquement qu’avec la pandémie, « les souvenirs remontent ». Née dans le ghetto de Tchernivtsi, ville alors roumaine aujourd’hui en Ukraine, Naomie était une fillette lorsque la Seconde guerre mondiale a éclaté. Et ce qu’elle a vu, dit-elle, « elle ne l’oubliera jamais ». Comme ce jour où deux Ukrainiens sont entrés chez elle et ont battu sa mère, parce que juive.
AVC, crise cardiaque, chute
« On appelle chaque jour plus de 3 500 personnes », explique Shimon Sabag, fondateur de Yad Ezer La-Haver. Selon lui, les milliers de rescapés de la Shoah encore en vie en Israël souffrent aujourd’hui terriblement de la pandémie qui a poussé les autorités à multiplier les confinements.
Beaucoup n’ont plus de famille et connaissent des difficultés financières, dit-il. Ils ne peuvent pas sortir à cause des mesures de confinement, de leur âge avancé et des risques encourus. Cet isolement fait remonter les traumatismes du passé, « les souvenirs des camps d’extermination, le manque, la peur », selon Shimon Sabag.
C’est pour faire face à cette détresse que son association, qui fournit depuis 2001 aides alimentaire et médicale aux personnes âgées à Haïfa, a mis en place ce centre d’appels qui permet d’assister les rescapés à distance, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. « On leur parle, on leur montre qu’on est là, qu’on prend soin d’eux », raconte Shimon Sabag, pour qui « la technologie a permis de donner de la chaleur aux gens ». « Si quelqu’un ne répond pas, on envoie tout de suite sur place un de nos motards » pour voir ce qu’il se passe, explique-t-il. « Plus d’une fois, on a trouvé des gens par terre après un AVC, une crise cardiaque ou une chute ».
« Rue des survivants »
Non loin du centre d’appels, dans une avenue surnommée la « rue des survivants », un foyer accueille 100 rescapés du génocide en fin de vie qui sont logés dans des appartements acquis par l’association. Là, ils peuvent rompre leur solitude, et hors pandémie, se divertir. « On est habitués à être actifs, il y a un club où on joue aux cartes mais maintenant il est fermé et tout le monde reste chez soi », déplore Sara Leibovitz, dite Sophie, 93 ans. « C’est très dur, on s’ennuie ». Originaire de Roumanie, elle a été déportée adolescente avec sa famille dans les camps de Transnistrie où elle a vu ses parents mourir du typhus.
« Yad Ezer me donne un toit, à manger, des vêtements et tout ce dont j’ai besoin », glisse Sophie qui a retrouvé le sourire en déballant le sac plastique qu’on vient de lui porter et qui contient un plat chaud. « C’est dur parce qu’on est seuls, mais ici on a de la chance car on prend soin de nous. On nous considère, on nous respecte », apprécie Haya Caspi, sa voisine, une rescapée roumaine de 88 ans, qui attend qu’on vienne la chercher pour aller se faire vacciner contre le virus…
LQ/AFP