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Il y a deux mois, Hadir Ali a laissé sa femme partir dans sa famille en Inde. Aujourd’hui, ce Pakistanais l’attend désespérément de son côté de la frontière mais avec leurs deux pays en pleine escalade, ils pourraient ne pas se revoir de sitôt. De nationalité indienne, son épouse «avait un visa pakistanais valide jusqu’en novembre, donc elle est partie en vacances dans sa famille en février», raconte ce chauffagiste de 31 ans. Si rien ne s’était passé, elle serait bientôt rentrée à la maison à Karachi (Pakistan), sur la côte, à plus de 1 000 km au sud du poste-frontière de Wagah qui sépare désormais les deux époux.
Mais mercredi, au lendemain de l’attaque la plus meurtrière contre des civils au Cachemire disputé, New Delhi, qui accuse son voisin d’être lié à cet attentat, a révoqué tous les visas accordés à des Pakistanais. Le lendemain, Islamabad a dégainé la réciprocité : plus aucun Indien, ont dit les autorités pakistanaises, à l’exception des pèlerins sikhs, n’entrera sur leur sol jusqu’à nouvel ordre.
Cette mesure a fait l’effet d’une bombe dans les deux pays où nombre d’habitants – qui partagent la même culture et des langues extrêmement proches – ont des parents proches ou éloignés des deux côtés de la frontière, dessinée dans la douleur à la partition de 1947 après le départ du colonisateur britannique. «Ma femme est du côté indien de la frontière et ils ne la laissent pas traverser», poursuit Hadir Ali, qui a parcouru à la hâte le millier de kilomètres pour rallier la frontière. «Les vrais terroristes devraient être arrêtés et jugés, mais ce sont les gens ordinaires comme nous qui souffrent injustement», se lamente-t-il. La police indienne dit toujours rechercher les tireurs de mardi, assurant que deux d’entre eux sont des Pakistanais.
«Elle ne faitque pleurer»
Si Hadir Ali se demande quand il reverra son épouse, Yasmine, 54 ans, retrouve aujourd’hui son mari plus vite que prévu. Quand elle a épousé un Pakistanais, cette Indienne a obtenu la naturalisation, mais elle a dû renoncer à son passeport indien. Récemment, elle a obtenu un visa pour rentrer dans son pays, après 15 années d’absence, pour se rendre au chevet de sa sœur malade accompagnée de sa nièce, elle aussi mariée à un Pakistanais. Elles étaient en famille quand les bruits de botte ont commencé à se faire entendre. Alors que le gouvernement ultranationaliste hindou de New Delhi a donné jusqu’au 29 avril aux Pakistanais pour quitter son territoire, les deux femmes se sont ruées vers la frontière.
Comme elle, des dizaines de personnes passent d’un côté à l’autre à la hâte ces jours-ci. Difficile d’obtenir des chiffres : interrogé par l’AFP, le ministère pakistanais des Affaires étrangères a assuré ne pas connaître le nombre de Pakistanais se trouvant actuellement en Inde. Yasmine est passée avec son passeport pakistanais, mais sa nièce, qui n’a que la nationalité indienne, est restée bloquée de l’autre côté. «Elle ne fait que pleurer, il faut absolument lui donner un visa au plus vite, ses quatre enfants sont ici, au Pakistan, et ils l’attendent», se lamente sa tante.
Ghaffar Mussafar, lui, fait le chemin en sens inverse. Cet habitant du Cachemire indien de 39 ans était venu voir de la famille au Pakistan quand l’attaque a eu lieu, plongeant dans l’inconnu les deux voisins, deux puissances nucléaires qui se sont déjà livré trois guerres. «Je suis resté 20 jours et j’ai pris cinq kilos», plaisante l’homme, intarissable sur l’hospitalité pakistanaise.
«Mais maintenant je dois abandonner ma famille. Vous voyez à quel point nous sommes liés, comme c’est dur de partir comme ça ?», lâche-t-il. «Je suis indien, j’aime l’Inde mais ma famille est ici, donc j’aime aussi le Pakistan», poursuit l’homme. «J’espère seulement que ça ira mieux le plus vite possible», glisse-t-il avant de filer vers l’est, derrière des rangées de barrières, de soldats et de drapeaux.