Les feux de forêts, qui se sont rapprochés d’une centrale au charbon cette semaine en Turquie, mettent en lumière les besoins d’adapter rapidement la sécurité des sites électriques et industriels aux nouveaux risques issus du réchauffement climatique dans le monde entier, soulignent des experts interrogés par l’AFP.
QUESTION: Quels sont les risques pesant sur la centrale thermique turque de Milas, alors qu’elle contient des milliers de tonnes de charbon?
REPONSE: La présidence turque a souligné que selon une inspection initiale, le feu n’avait pas causé « de dégâts sérieux aux unités principales de la centrale ».
Pour les risques postérieurs, les réponses varient selon les experts.
« Le charbon n’explose pas », dit Brian Ricketts, secrétaire-général d’Euracoal, l’association européenne des producteurs de charbon et de lignite. « Mais il peut s’auto-consumer s’il n’est pas proprement stocké » et générer un « problème massif de pollution » de l’air en Turquie, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne au début des années 1990 lors des brasiers en plein air alimentés au charbon et destinés à éliminer des milliers de cadavres de bovins lors de la crise de la vache folle.
Le consultant en risques industriels Paul Poulain estime au contraire que le risque principal est la formation d' »un mélange explosif avec l’air si des poussières se développent autour de l’incendie », dit-il à l’AFP.
Constat tempéré par Thibault Laconde, cofondateur et dirigeant de Callendar, entreprise spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques: « l’explosion ne me paraît pas un risque majeur » dans ce cas, explique-t-il. « Ce qui est explosif, c’est la poussière, mais essentiellement en atmosphère confinée, or là, « on est à l’air libre », dit-il, en notant en revanche un risque de « pluies acides » si le combustible contient du soufre.
« La pollution de l’air devrait durer de quelques jours à quelques semaines en fonction des conditions météo », ajoute-t-il, M. Poulain soulignant pour sa part le risque de « cancers » ultérieurs chez les populations ayant inhalé les fumées d’incendie.
QUESTION: Existe-t-il des normes internationales interdisant l’installation de centrales électriques dans des zones boisées?
REPONSE: Non, pas au niveau international. En Europe, les principales normes pour l’installation de sites reposent sur les « directives Seveso » liées aux risques industriels essentiellement.
Les photos-satellites montrent que la centrale de Milas, d’une capacité de 650 MW, est construite tout près d’une mine à ciel ouvert d’où est extraite la lignite qui lui sert de combustible.
« La lignite est un charbon de mauvaise qualité, qui pèse lourd et a un faible pouvoir calorifique, si elle est transportée, elle devient moins rentable, donc elle est en général exploitée tout près de son lieu d’extraction », y compris s’il se trouve près d’une forêt, explique Thibault Laconde.
QUESTION: Le changement climatique crée-t-il de nouveaux risques pour les installations industrielles?
REPONSE: Les incendies qui se multiplient à travers le globe sont associés à divers phénomènes anticipés par les scientifiques en raison du réchauffement de la planète. L’augmentation de la température, la multiplication des canicules et la baisse des précipitations par endroit est ainsi une combinaison idéale pour le développement des feux.
« On risque le pire des scénarios à l’avenir dans beaucoup de pays industrialisés », relève Paul Poulain.
« Beaucoup de nouveaux risques émergent avec le changement climatique », ajoute M. Laconde: « incendies, submersion, inondation, mais aussi sécheresse » qui affectent des infrastructures industrielles à vie très longue et qui n’ont pas été initialement conçues en intégrant ces risques à cette intensité.
Soulignant les records de température cet été en Californie, au Canada ou en Irak, l’Agence internationale de l’Energie a d’ailleurs publié le 12 juillet une étude soulignant que les systèmes électriques mondiaux allaient devoir se préparer à « affronter la menace grandissante » du climat avec une augmentation « en taille et en fréquence des événements météo extrêmes, qui causent de plus grands dommages et de plus grandes pressions sur nos infrastructures d’énergie ».
QUESTION: La Turquie est-elle plus à risque que d’autres pays industriels?
REPONSE: Elle est à risque car c’est une puissance industrielle, mais tout comme le sont la Chine, la France ou les Etats-Unis. Dans certains cas, la Turquie sait prendre des mesures.
Récemment, au sujet des risques liés au stockage de nitrate d’ammonium, responsable de la méga-explosion de Beyrouth l’an passé, la presse turque a souligné que 23 provinces interdisaient son utilisation comme engrais agricole, pour supprimer les risques d’explosion.
LQ/AFP