Après le choc de l’évacuation, la fatigue et le ras-le-bol montaient chez les habitants de Fort McMurray relogés depuis plusieurs jours dans des centres d’hébergement d’urgence après avoir fui les flammes qui ont ravagé des quartiers en périphérie de cette ville canadienne.
«Les tensions débordent», confie Donald Janvier, installé dans un centre d’hébergement ouvert à Lac La Biche, à 300 kilomètres au sud de Fort McMurray. La sécurité a été renforcée depuis dimanche et les allées et venues sont contrôlées de plus près. Une salle a même été désignée pour y envoyer les habitants les plus agités, le temps de se calmer. Mais personne n’a été interpellé, précisent les responsables.
Dans le gymnase du lycée de Lac La Biche reconverti en cantine pour les évacués depuis mercredi, des vigiles ont dû intervenir pour séparer deux cousines qui se disputaient à l’heure du déjeuner. Comptant d’ordinaire 3 000 habitants, Lac La Biche a vu sa population exploser en moins d’une semaines, recevant près de 10 000 évacués et leur offrant vêtements, nourriture et logements. La plupart sont depuis repartis dans les grandes villes proches. Au total, près de 100 000 personnes ont dû quitter la zone affectée par les sinistres déclarés la semaine dernière dans la province de l’Alberta, grande comme la France, où 11 centres d’hébergement ont été ouverts en urgence.
Frustration
L’évacuation de Fort McMurray, alors qu’elle était prise dans de gigantesques feux de forêts qui continuaient d’avancer lundi, a été réussie sans avoir à déplorer une seule victime. «Un miracle», a déclaré lundi la Première ministre de l’Alberta Rachel Notley, avant d’annoncer que les habitants ne pourraient pas rentrer chez eux d’ici au moins deux semaines.
Dans les centres d’accueil, le travail des secouristes et volontaires est sans cesse salué par les évacués. Les logements temporaires servant en temps normal aux ouvriers d’une entreprise qui construit des oléoducs près de Wandering River, à plusieurs dizaines de kilomètres de Lac La Biche, ont ouvert leurs portes aux habitants ayant fui les flammes, qui étaient invités dimanche soir à participer à un cours de yoga pour les aider à se détendre.
Mais une fois passée la frayeur de l’évacuation, la peur laisse place aux émotions, et parfois à l’énervement. «Les gens sont fatigués, ils sont frustrés, ils se sentent abandonnés et parfois ils craquent», remarque Mustafa Abraham, membre de la sécurité du centre de Lac La Biche, où près de 400 évacués sont hébergés. Beaucoup déambulent, le regard vide. Et des personnes souffrant d’addictions sont en manque, accentuant les tensions. «Tolérance zéro pour les drogues et l’alcool», est-il écrit en grosses lettres à l’entrée du centre.
Dans les campings et les petits hôtels convertis en centres d’accueil, les conversations commencent à changer de ton. Après les récits sur leurs évasions effrénées devant l’avancée des flammes, les évacués se tournent maintenant vers le rôle des autorités et leur réponse face au sinistre. «C’était un petit incendie au départ. Ils n’ont pas réagi assez vite» pour l’éteindre «et maintenant c’est énorme», accuse Elmer McDonald, de la Première nation des Chipewyan d’Athabasca, communauté autochtone durement frappée par ces incendies.
«Ce désastre n’aurait pas coûté neuf milliards de dollars canadiens (la facture estimée pour les assureurs, ndlr) si quelqu’un avait juste lancé un seau d’eau sur le feu à ce moment-là», lance-t-il assis devant un motel à Lac La Biche. Sur les réseaux sociaux, certains s’échauffaient beaucoup plus crûment, dans des commentaires truffés de grossièretés. L’une de leur cible: la compagnie aérienne Air Canada, forcée de s’excuser après que ses tarifs ont explosé pour des évacués qui voulaient prendre des billets en urgence mercredi. La compagnie s’est excusée, expliquant que les hausses de prix se faisaient automatiquement pour les achats de dernière minute et proposant de rembourser les clients concernés.
Le Quotidien/AFP