« Ils n’ont pas tué Charlie Hebdo » : dix ans après l’attentat islamiste qui l’a frappé, l’hebdomadaire satirique français sort un numéro spécial mardi 7 janvier, à la date précise d’un anniversaire qui fait l’objet de nombreux hommages, avec des émissions spéciales et une kyrielle de livres.
Ce numéro de 32 pages proposera des caricatures sélectionnées lors d’un concours international clos mi-décembre. Baptisé « #RireDeDieu », son but est de dénoncer « l’emprise de toutes les religions » sur la société, selon Charlie.
La rédaction, qui travaille désormais dans des locaux ultra protégés et tenus secrets, va également donner les résultats d’un sondage sur la question : la France est-elle encore Charlie ?
Douze personnes, dont huit membres de la rédaction, ont perdu la vie le 7 janvier 2015 dans l’attaque revendiquée par Al-Qaïda et commise par les frères Chérif et Saïd Kouachi de l’hebdomadaire, cible de menaces jihadistes depuis la publication de caricatures du prophète Mahomet en 2006.
D’autres attentats islamistes ont coûté la vie à une policière le lendemain en banlieue parisienne, et quatre personnes de confession juive dans une épicerie casher le 9 janvier à Paris.
Et en octobre dernier, Simon Fieschi, responsable du site internet au moment de l’attentat durant lequel il a été grièvement blessé, est mort à 40 ans.
« Une page d’histoire »
Malgré tout, « ils n’ont pas tué Charlie Hebdo » et « on veut qu’il dure mille ans », affirme son rédacteur en chef, Gérard Biard. Façon de réfuter la phrase lancée par les frères Kouachi – « On a tué Charlie Hebdo ! » – lorsque les auteurs de la tuerie ont quitté les locaux de l’hebdomadaire, le 7 janvier 2015.
Ce matin-là, leurs balles ont mortellement fauché les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychiatre et psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris et le correcteur Mustapha Ourrad.
Pour rendre hommage aux victimes et célébrer leur travail, Charlie Hebdo avait déjà sorti en décembre, quelques semaines avant ces commémorations, le livre Charlie Liberté, le journal de leur vie (éditions Les Echappés).
Des cérémonies en hommage aux victimes auront lieu mardi. La chaîne publique France 2 se mettra au diapason, notamment avec une soirée exceptionnelle autour des questions « Sommes-nous tous encore Charlie ? Où en est-on avec la liberté d’expression ? ». Avec les journalistes et dessinateurs de Charlie, dont Riss, le directeur de la publication de Charlie Hebdo.
Dix ans après, l’attaque « est une page d’histoire » et il y a un enjeu de « transmission », expose ce dernier, qui vit toujours sous protection policière.
Récemment, la publication en août d’une caricature de la Vierge Marie touchée par la variole du singe a valu des plaintes à Charlie Hebdo. « Quand on a beaucoup de réactions, je me dis qu’il faut continuer », estime l’auteur du dessin, Juin, 37 ans, arrivé à Charlie Hebdo en avril 2015.
« Clientèle électorale »
Dans la classe politique, si l’heure est au recueillement et à l’hommage, les divergences sur « l’esprit Charlie » et le journal satirique ne sont pas pour autant occultées à gauche.
Le dirigeant du Parti communiste Fabien Roussel rend régulièrement hommage aux membres de la rédaction. Il se présente par ailleurs comme un grand défenseur de la laïcité et la liberté d’expression, des valeurs défendues par Charlie Hebdo, né dans l’esprit libertaire qui a suivi Mai-1968.
À l’inverse, les élus de la France insoumise, la gauche radicale, sont beaucoup plus critiques de Charlie Hebdo.
« Leur ligne politique se rapproche de plus en plus de l’extrême droite », estime le coordinateur du mouvement Manuel Bompard, en précisant cependant que « ce qui doit l’emporter dans la période actuelle, c’est l’hommage aux victimes des attentats ».
Pour l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, figure du centre-gauche et chantre de la lutte contre le « communautarisme », cela s’expliquerait par les caricatures visant l’islam publiées par le journal.
« Une partie de la gauche extrême considère cyniquement les musulmans comme une clientèle électorale à conquérir », a-t-il accusé cette semaine dans l’hebdomadaire le Nouvel Obs.
« Les combats pour la laïcité et pour le droit au blasphème ne sont plus aussi présents qu’il y a 10 ans à gauche et c’est désespérant », regrette pour sa part le député socialiste Jérôme Guedj, secrétaire national à la laïcité du parti.