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France : les autorités dans la crainte d’un passage à l’acte de l’ultradroite


"C'est une catégorie fourre-tout où l'on met l'extrême droite extraparlementaire, activiste, ce qui ne signifie pas nécessairement terroriste, tout ce qui est à droite du RN", résume Jean-Yves Camus. (photo AFP)

Antivax, complotistes ou ennemis de la République, la pandémie de coronavirus a donné un coup de fouet aux idées de l’ultradroite. Au point que policiers, magistrats et services de renseignements redoutent désormais le passage à l’acte d’un de leurs partisans.

Dans un climat de contestations et de colères disparates à moins de trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, leur activisme est surveillé comme le lait sur le feu par les autorités.

En moins d’un an, le gouvernement a dissout deux groupuscules, les Zouaves Paris (ZVP) et Alvarium, et une association, Génération identitaire, qui se réclament tous de l’ultradroite. Mais ces mesures n’ont pas empêché certains, comme le chef des ZVP Marc de Cacqueray-Valmenier, de s’inviter ostensiblement à un cortège contre le pass vaccinal le 15 janvier à Paris, en dépit d’un contrôle judiciaire le leur interdisant.

« La dissolution, ce n’est pas la panacée, mais cela les insécurise, les empêche de monter en gamme », fait valoir un haut responsable policier. Plus dubitatif, Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l’extrême droite, observe que des « petites structures plus locales » se recréent sitôt prononcée la dissolution du groupe. Ce foisonnement fait craindre aux autorités un acte individuel et ciblé. Particulièrement contre les élus, dont les parlementaires qui ont approuvé successivement le pass sanitaire et le pass vaccinal, entré en vigueur lundi.

À longueur d’entretiens, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ne cache plus sa préoccupation.

« Menaces graves »

« J’ai demandé aux préfets que l’on protège les élus comme on protège les lieux de culte… Le climat de cette campagne n’est pas serein », a-t-il dit au JDD le week-end dernier. « On ne lésine pas sur les moyens. J’espère qu’ils nous permettront d’éviter tout drame pendant la campagne. » « Les menaces contre les élus sont une très grande préoccupation », abonde un haut gradé de la police. Depuis juillet dernier, le ministère de l’Intérieur a recensé plus de 500 « faits de menaces graves » contre eux et plus de 400 plaintes.

Jusqu’à présent, aucune ne s’est concrétisée. Mais les policiers s’inquiètent de la formation de cellules structurées et clandestines qui visent à « renverser » les institutions par la violence, à l’instar de celle de Rémy Daillet. Cette figure du complotisme, incarcérée dans l’affaire de l’enlèvement au printemps dernier de la petite Mia, a été mise en examen en octobre pour des projets d’attentats et même, selon une source proche du dossier, un « coup d’État ».

Actuellement, le parquet national antiterroriste (PNAT) gère « 9 dossiers judiciaires » liés à l’ultradroite. « Six d’entre eux concernent ces cellules clandestines, dont celle de Rémy Daillet, et trois des projets individuels », précise une source sécuritaire. « C’est un nombre assez conséquent. Ce n’est pas rien », insiste Laurent Nunez, le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme.

« Nous ne sommes plus en présence d’un phénomène marginal mais d’un phénomène qui est en train de monter en puissance », confirme le patron du PNAT, Jean-François Ricard.

 « À droite du RN » 

« Jusqu’à présent, la France a été épargnée », se réjouit toutefois un haut responsable policier. D’autres pays ont été frappés. En juin 2021 au Canada, quatre membres d’une même famille musulmane ont été tués par un homme qui a précipité sa voiture sur eux. Deux ans plus tôt, en Nouvelle-Zélande, un suprémaciste australien avait ouvert le feu dans deux mosquées de Christchurch, tuant 51 musulmans.

Les deux hommes peuvent être classés à l’ultradroite, terme policier qui désigne une mouvance protéiforme faite de multiples strates. « C’est une catégorie fourre-tout où l’on met l’extrême droite extraparlementaire, activiste, ce qui ne signifie pas nécessairement terroriste, tout ce qui est à droite du RN » (Rassemblement national), résume Jean-Yves Camus. Ses tenants partagent la même haine des étrangers, des musulmans, des juifs ou des francs-maçons.

À partir des attentats jihadistes de 2015 et de la crise migratoire se sont installées dans la mouvance française, forte d’environ 3 000 personnes, les idées du « grand remplacement », d’un « péril imminent » et d’un « État « incapable », explique une source sécuritaire.

Des courants venus des États-Unis, comme les « suprémacistes », « accélérationnistes » ou « survivalistes », y ont ensuite germé, rejoints par certains « gilets jaunes » qui ont basculé dans la « radicalité, se sont retrouvés et structurés », poursuit la même source.

« Processus terroriste » 

La crise sanitaire a servi de catalyseur à ce magma et « l’on a vu les théories antisystème comme celles des QAnon se développer en France », ajoute-t-elle. Jean-Yves Camus évalue à « un petit millier le nombre » de ces militants « très orientés vers la violence ». Une source sécuritaire fait état de « 10 à 100 profils susceptibles de passer à l’acte ».

Des groupes, comme les Zouaves Paris, « cherchent à mener des actions démonstratives, soit lors de rassemblements en participant à des manifestations pour les faire dégénérer », explique Laurent Nunez. Ce fut le cas le 15 janvier lors d’un cortège « antivax » à Paris, où des journalistes de l’AFP ont été menacés de mort.

D’autres organisent des « fights contre les antifas » ou organisent des actions illégales, comme Génération identitaire avec « les contrôles aux frontières », poursuit-il. Ils se comportent comme « des milices privées », « incitent à la haine » mais « ne sont pas dans la démarche du passage à l’acte terroriste ».

À l’inverse, poursuit Laurent Nunez, les cellules clandestines « sont engagées dans un processus terroriste, de contestation des institutions représentatives » ou de « lutte contre l’islam et les gauchistes ». À l’instar du réseau Daillet, ils ont « des velléités de s’armer » et leurs membres « sont plus mûrs, plus aguerris ».

Depuis 2017, « 6 projets de passage à l’acte à l’extrême droite » ont été déjoués, selon Gérald Darmanin. À l’instar des jihadistes, ils affichent « de plus en plus de professionnalisme », « des projets qui se précisent » dans « le choix des cibles, le mode opératoire, la structuration », note une source judiciaire spécialisée dans la lutte antiterroriste.

Accès aux armes 

« Les ressorts psychologiques sont les mêmes : frustration, besoin de reconnaissance, fascination pour l’ultra violence. Mais il y a pas mal de différences », nuance un haut responsable policier.

Jean-Yves Camus relève lui aussi qu’à ce jour, il n’y a pas eu de la part de l’ultradroite de projet d’attentat « équivalent aux bonbonnes de gaz » que voulaient faire sauter près de Notre-Dame de Paris des jeunes filles adeptes du jihad.

De nombreuses armes ont été découvertes dans plusieurs dossiers impliquant l’ultradroite, pour la plupart détenues légalement. Dans le dossier des 13 militants de « Recolonisation France » arrêtés en novembre, 40 des 51 armes saisies étaient dûment enregistrées.

Nombre des tenants de l’ultradroite sont chasseurs, ex-militaires, collectionneurs ou adeptes du tir sportif et ont peu recours aux circuits utilisés par la grande criminalité. « Ils ont peu ou pas de connexion avec la criminalité organisée », fait valoir Yann Sourisseau, le patron de l’office dédié. Mais ils ont « un accès facile aux armes par leurs relations avec les mouvements néonazis internationaux », note une source judiciaire.

Prototype de ces adeptes de l’ultradroite prêts à franchir le pas, un ancien militaire originaire de Haute-Vienne est jugé à partir de ce mercredi à Paris pour « entreprise individuelle terroriste ». Les policiers l’avaient arrêté en 2020 : il possédait des armes et venait de publier des messages inquiétants d’apologie du nazisme qui suggéraient un attentat imminent visant la communauté juive.