« Je les avais avant » : dans la rue où apparaissent de plus en plus de masques malgré la pénurie, peu de gens osent avouer où ils ont obtenu ce bien précieux alors que les ventes frauduleuses se multiplient.
En proche banlieue parisienne, un jeune homme en jogging gris, sac de courses à la main, presse le pas. Il porte un masque de type chirurgical flambant neuf. « Je l’avais avant la pandémie », assure-t-il, « j’alterne avec un masque de chantier ».
Certes, parmi les masques apparus dans la rue, il y a des masques achetés dans les enseignes de bricolage mais beaucoup sont aussi des masques chirurgicaux voire les fameux FFP2, réquisitionnés par l’État et dont manquent cruellement les soignants.
Sous le manteau
A interroger les passants, les réponses sont souvent les mêmes : « je les ai achetés avant », « je les avais depuis un voyage en Asie », « je n’en ai qu’un »…
Frédéric, qui a vécu à Hong-Kong, confirme en avoir reçu plusieurs dizaines d’une amie taïwanaise qui ne comprenait pas qu’il n’en porte pas malgré la pandémie. Il les a donnés à une pharmacie. « Dans la communauté asiatique de Belleville, ils ont été très prévoyants et en ont reçu beaucoup de Chine » avant le confinement, selon lui.
Dans une petite supérette aux portes de Paris, derrière sa vitre de plexiglas, le propriétaire porte également un masque. Il en possède une boîte pleine derrière son comptoir. « C’est à la pharmacie que ça s’achète », explique-t-il avant d’admettre avec gêne qu’il les a obtenus « autrement », « sous le manteau ». Il n’en dira pas plus.
« Ça ressemble à une scène de deal »
L’achat peut aussi se faire à l’unité, discrètement, dans la rue, comme la vente de stupéfiants. Samedi, dans une avenue en Seine-Saint-Denis, un jeune homme, lunette noire et capuche sur la tête, échange avec un homme portant un masque qui semble lui glisser une somme d’argent dans la main. « Ça ressemble fortement à une scène de deal », reconnaît un policier. Sauf que cette fois, le jeune homme aux lunettes de soleil, tient à la main une boîte de masques chirurgicaux.
Depuis la réquisition des stocks par l’État, plusieurs affaires de ventes illégales de masques on été traitées par la police et la justice. Ainsi, 32 500 masques ont été saisis dans un entrepôt de Seine-Saint-Denis, 28 800 dans une boutique de grossistes chinois à Aubervilliers, 20 000 chez un particulier du XIXe arrondissement et autant chez une gérante d’agence de voyage du XIIIe arrondissement…
Début avril, le parquet de Paris indiquait avoir ouvert une quinzaine d’enquêtes pour des faits similaires. « Mon client détenait deux stocks de masques : le premier depuis 2014, dans le cadre de son projet d’ouverture d’une enseigne d’onglerie, le second récemment », justifie Me Samuel Habib, avocat d’un quinquagénaire mis en examen fin mars après avoir été interpellé avec 23 000 masques. « Il n’a aucunement agi avec dissimulation, ni malice », assure son avocat qui ajoute que « ceux qui se sont portés acquéreurs – il lui est arrivé d’en donner – sont tous des professionnels de santé telles les cliniques (…) démunies compte tenu des carences du ministère ».
Des pharmaciens devant la justice
Des professionnels de santé qui parfois se trouvent du côté des mis en examen. Une pharmacienne d’Issy-les-Moulineaux a été condamnée à quatre mois avec sursis pour violation des mesures de lutte contre le Covid-19 imposées par l’état d’urgence sanitaire. Les enquêteurs ont saisi 3 500 masques dans son officine désormais fermée. A Nice, une autre pharmacienne sera jugée fin avril pour les mêmes faits. En attendant, elle a été placée sous contrôle judiciaire, assorti d’une caution de 5 000 euros et d’une interdiction d’exercice professionnel. Elle n’a pas le droit de se présenter à sa pharmacie.
Non loin de là, à Grasse deux pharmaciens salariés ont été interpellés pour avoir vendu 10 euros pièce des masques FFP2 dans un snack, selon une source policière. Ils s’approvisionnaient en Tunisie via un ami d’enfance. A Lyon, un pharmacien revendait des boîtes de 25 masques à 60 euros, soit 2,40 euros l’unité. Il doit être jugé début juillet.
LQ/AFP