« On n’accuse pas, on veut juste que les choses changent »: le suicide d’une lycéenne transgenre mercredi à Lille, dans le nord de la France, a suscité vendredi une forte émotion et des appels à une meilleure prise en compte par l’Education nationale des questions de genre.
Le ministre français de l’Education, Jean-Michel Blanquer, s’est défendu lors d’un déplacement à Marly-la-Ville, près de Paris: « Nous avons fait énormément sur la lutte contre le harcèlement, qui inclut l’enjeu du harcèlement contre les élèves LGBT ». Il a néanmoins reconnu qu’il fallait « que nous réussissions beaucoup mieux à lutter contre cela ».
Selon des amis de la victime rassemblés vendredi devant le lycée, elle n’était pas harcelée, mais en proie à « un mal-être » découlant de « la difficulté de vivre dans une société qui ne veut pas évoluer ».
L’émotion, après un emballement jeudi des réseaux sociaux, s’est cristallisée autour du lycée du centre-ville, où Fouad – son prénom de naissance -, 17 ans, qui vivait dans un foyer, était scolarisée en terminale.
Renvoyée pour une jupe
Exprimant sa « grande tristesse », la rectrice (responsable régionale de l’Education) a évoqué devant la presse un évènement pointé par les réseaux sociaux: le renvoi du lycée de Fouad le 2 décembre, car elle portait pour la première fois une jupe.
Dans une vidéo d’échanges avec une conseillère d’éducation, filmée par Fouad selon ses amies, l’adulte affirme comprendre son « envie de liberté ».
« Tout ça, c’est fait pour t’accompagner au mieux, c’est ça que tu comprends pas! Parce qu’encore une fois, il y a des sensibilités qui ne sont pas les mêmes », ajoute la conseillère, sur un ton sec.
« Mais c’est eux qu’il faut éduquer », répond Fouad. « Je suis d’accord », rétorque l’adulte, avant que Fouad ne conclue: « Je ne vois pas le problème ».
La rectrice affirme que la conseillère voulait protéger l’élève, lui « dire ‘Si tu arrives comme ça et que personne n’est prévenu, ça ne va pas être bien pour toi’. Je pense qu’au bout du compte l’idée a été quand même d’accompagner ».
La rectrice a raconté que l’élève a été rappelée au lycée l’après-midi même pour « gérer au mieux son retour dans l’établissement, habillée avec sa jupe ».
Pour « tous et toutes les Fouad »
L’épisode a suscité un élan de solidarité chez les élèves qui sont « venus en jupe les jours suivant, y compris des garçons. Elle a pu revenir en jupe, c’était une vraie victoire pour elle », raconte une de ses amies, Zya, rassemblée avec une quarantaine d’autres élèves vendredi matin devant le lycée pour lui rendre hommage.
« C’est très dur, on ne s’y attendait pas », confie en pleurs Anouk Dupont, 17 ans. « On n’accuse pas, on veut juste que les choses changent ».
« Pétillante avec beaucoup de maturité et de recul », Fouad « avait fait son coming-out voici un an et commencé sa transition », détaille Zya.
Mais elle était aussi en proie à « un mal-être, et (à) la difficulté de vivre dans une société qui ne veut pas évoluer », souligne Anouk. Selon ses amies, elle connaissait « des problèmes personnels, familiaux », mais n’était en butte à aucun harcèlement au lycée.
« Fouad était pleinement reconnue au sein du lycée », « elle y avait sa place », confirme le chef d’établissement Paul Marcheville, qui a réuni en début d’après-midi les élèves pour un hommage et une minute de silence dans la cour.
Les élèves n’accablent pas la direction: « Elle a manqué de tact et de pédagogie, ce n’était pas adapté, mais on ne peut pas accuser le lycée », résume Zya.
La rectrice a reconnu la nécessité « d’avoir un programme de formation continue encore plus construit sur ces sujets ».
« Il est temps que les lycées se rendent compte qu’on est en 2020″, les personnels doivent garantir l’émancipation et s’abstenir de tout acte qui pourrait mener au pire », a réclamé le syndicat lycéen FIDL.
« Les personnels doivent être formés aux sujets LGBT », a fait écho le Collectif éducation contre les LGBTphobies, dénonçant une « inaction » du ministère qui « pèse lourdement sur tous et toutes les Fouad ».
AFP