À Biran, village natal de Fidel Castro, « personne ne s’attendait » à ce que ce jeune étudiant, rebelle et amoureux de la nature, quitte le confort de la propriété familiale pour faire sa révolution en 1959, raconte son demi-frère Martin.
« Il parlait peu (de ses projets) de crainte que le vieux ne puisse l’apprendre », explique, assis dans un fauteuil à bascule, Martin Castro Batista, 77 ans, lui aussi fils du « vieil » Angel mais de mère différente.
Niché au milieu des collines et des plantations de canne à sucre, à 800 kilomètres de La Havane, le village de Biran a vu naître Fidel puis Raul Castro au sein d’une fratrie de sept enfants menée par Angel Castro, un immigrant espagnol et riche propriétaire terrien, et Lina Ruz, une paysanne cubaine.
Sur une petite route de campagne, un simple panneau « lieu historique » annonce sur la gauche l’hacienda familiale de la famille Castro, aujourd’hui un musée. « En ce moment, nous avons plus de cent touristes chaque jour, alors qu’habituellement ils sont 15-20, parfois 50 », explique Antonio Lopez Herrera, 65 ans, le guide officiel du lieu. « Cela a été une explosion depuis la mort de Fidel », vendredi dernier à 90 ans.
La propriété révèle une enfance privilégiée : sur une vaste étendue d’herbe parsemée de palmiers, Angel, arrivé à Cuba en tant que militaire, a d’abord construit sa maison, au toit rouge et aux murs en bois peints en jaune.
Puis, tout autour, il a fait bâtir une école, une salle de cinéma, une épicerie, un bureau de poste, un bar… On y trouve même un cabinet de dentiste et une arène pour les combats de coqs. « On n’avait jamais besoin de sortir », tout se trouvait sur place, souligne Antonio.
Bébé, Fidel « mettait du temps à s’endormir », il fallait le bercer, assure-t-il, montrant avec émotion le petit lit dans lequel il a passé ses trois premiers mois. Puis il est devenu « un enfant très joyeux et très rebelle » : « Il aimait être n’importe où sauf à la maison », dit-il. Il préférait être dans la nature. « Il nageait, il montait à cheval, il se lançait dans la rivière, il escaladait la montagne, c’était un enfant très audacieux, téméraire ».
Il aimait aussi passer du temps, « pieds nus », avec les employés haïtiens – 80 au total pour toute la propriété Castro – et « sa mère devait venir le chercher », raconte Antonio.
Parti de Biran à six ans pour entrer dans une école de Santiago de Cuba, le jeune Fidel revient régulièrement passer ses vacances dans son village natal et en profite pour se ressourcer à la campagne. « Il allait chasser les petits oiseaux avec son chien Napoléon », explique Antonio, désignant une photo de Fidel adolescent qui pose, fusil à la main, à côté de l’animal. « Il se promenait toujours avec des armes, il aimait chasser et il se mettait à tirer en l’air », confirme Martin.
Paco Rodriguez, 91 ans, que les frères Castro surnommaient affectueusement « Paquito », se souvient bien lui aussi de son camarade : « On jouait ensemble, on allait à l’école ensemble, on s’entraînait à la boxe, on jouait au ballon », se remémore-t-il, le regard empreint de nostalgie.
Si, parmi les Cubains éplorés ces jours-ci à la suite de la mort de leur « Comandante », il est difficile de trouver une voix discordante pour rappeler notamment les violations des droits de l’homme dénoncées par l’ONU et des opposants, à Biran, c’est mission impossible. « C’était le fils prodige de ce lieu », affirme Antonio. « Ici, même les pierres aiment Fidel ».
Personne surtout, n’a oublié qu’au moment de nationaliser les terres après la révolution de 1959, Fidel Castro a d’abord appliqué cette règle à la propriété familiale, faisant bâtir des maisons pour les habitants sur une partie du terrain. Et alors que ses parents lui avaient fait construire une maison tout confort à côté de la leur, il n’a jamais souhaité y vivre.
« Il aurait pu vivre tranquille ici, il a laissé tout ça pour la Sierra Maestra » d’où il a déclenché sa révolution, observe avec fierté Antonio. « Il avait tout, c’était un homme riche », renchérit « Paquito », mais, au contact notamment des employés haïtiens, « il a vu qu’il y avait de l’injustice ». Alors « il s’est lancé ».
Le Quotidien / AFP