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États-Unis : le droit à l’avortement en jeu


Si la Cour remaniée devait annuler la décision de 2016, cela pourrait signifier qu'elle est également prête à revenir sur l'arrêt historique Roe v. Wade de 1973, dans lequel elle avait reconnu le droit de toutes les Américaines à avorter. (photo AFP)

La Cour suprême des États-Unis examine mercredi une loi de Louisiane accusée de restreindre l’accès à l’avortement, dans un dossier ultra-sensible qui a valeur de test pour les nouveaux juges nommés par Donald Trump.

Le texte au cœur de la procédure ressemble de près à une loi texane que le temple du droit avait invalidée en 2016, la jugeant trop restrictive. « La Louisiane défie ouvertement la décision de la Cour », a relevé avant l’audience Nancy Northup, présidente du Center for Reproductive Rights, qui représente les plaignants. « Nous comptons sur elle pour confirmer sa jurisprudence ». Mais depuis 2016, le président républicain a ancré la haute juridiction dans le conservatisme en y faisant entrer deux magistrats (sur un total de neuf), ce qui suscite des inquiétudes chez les défenseurs du droit à l’avortement.

Si la Cour remaniée devait annuler la décision de 2016, cela pourrait signifier qu’elle est également prête à revenir sur l’arrêt historique Roe v. Wade de 1973, dans lequel elle avait reconnu le droit de toutes les Américaines à avorter, soulignent-ils. L’audience « pourrait marquer le début de la fin pour Roe », estime Kelley Robinson, une des responsable de la puissante organisation Planned Parenthood. Pour elle, « l’accès à l’avortement ne tient qu’à un fil » aux États-Unis. L’arrivée des juges conservateurs a au contraire galvanisé les opposants à l’avortement. « Nous avançons avec de l’espoir dans le coeur et de la confiance envers la Cour », reconnaît la présidente de l’organisation United for Life, Catherine Glenn Foster.

Décision en juin

Mercredi, chaque camp avait réuni ses troupes devant le temple du droit. Venu de Cincinnati, Dennis McKirahan, 75 ans, faisait résonner les « trompettes de Dieu ». « Nous devons arrêter de tuer des bébés », expliquait-il. A quelques mètres, Liz Borkowki, 42 ans, du bord adverse, brandissait un panneau de sa confection barré de la mention « Respectez les décisions prises ». « Ni les faits, ni la loi n’ont changé depuis 2016, seule la composition de la Cour a changé », relevait-elle. « Si elle devait prendre une décision différente, je ne vois pas comment on pourrait garder confiance en elle. » La Cour devrait rendre sa décision en juin, à quelques mois de la présidentielle du 3 novembre.

Donald Trump, qui a séduit la droite religieuse en affichant une franche opposition à l’avortement, ne manquera pas de crier victoire si la Cour devait rogner ce droit. Dans la procédure en cours, son gouvernement soutient la Louisiane, qui a adopté en 2014 une loi pour obliger les médecins pratiquant des avortements à obtenir une autorisation d’exercer dans un hôpital situé à moins de 50 kilomètres du lieu de l’intervention. Elle vise « à protéger les femmes », explique l’élue Katrina Jackson, « fière » de l’avoir introduite au Parlement de cet État conservateur du Sud américain. « Il s’agit d’être sûr que les médecins soient reliés à un hôpital, pour qu’en cas de complication ils puissent y faire admettre » leur patiente. « Ce n’est pas vrai », réplique Kathaleen Pittman, qui gère le centre de planning familial Hope Medical Group à Shreveport.

Des motivations financières

Les autorités, qui ont adopté 89 mesures restrictives sur l’avortement depuis 1973, « espèrent juste que la Louisiane devienne le premier État sans accès à l’IVG », estime-t-elle. Obtenir ces autorisations relève de la gageure et, si la loi est adoptée, seule une clinique et un médecin pourront continuer à proposer des IVG en Louisiane, où près de 10 000 IVG sont pratiquées chaque année, avancent les opposants à la loi. En février 2019, la Cour suprême, saisie en urgence par la clinique de Kathaleen Pittman, avait bloqué l’entrée en vigueur de la loi sans se prononcer sur le fond. Créant la surprise, le président de la Cour John Roberts s’était joint aux quatre juges progressistes, bien qu’il ait défendu la loi du Texas en 2016. Très attaché à l’image de la Cour et à la continuité du droit, le magistrat pourrait à nouveau jouer le rôle de pivot.

« John Roberts est perçu comme préférant les changements graduels », souligne le professeur de droit Erwin Chemerinsky dans la revue de l’association du barreau ABA. « Il n’ira probablement pas jusqu’à se saisir de ce dossier pour annuler le droit à l’avortement ». Mais il pourrait agir sur un autre levier : la Cour a accepté de se prononcer sur la légitimité des médecins ou des cliniques à agir en justice pour défendre le droit à l’IVG. Les opposants à l’avortement assurent que ces médecins ont des motivations financières et que seules les femmes enceintes devraient avoir le droit de saisir les tribunaux. « Je suis très inquiète » sur ce point, a expliqué la gynécologue Nisha Verma. « Demander à des femmes qui essaient d’obtenir un avortement d’aller en justice est tout simplement fou », poursuit-elle. « Cela rendrait juste beaucoup plus difficile » de défendre le droit à l’avortement.

LQ/AFP