Accusé de fraude fiscale et de blanchiment, l’ex-chef de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, comparaît mardi devant un juge en ouverture du premier procès découlant de l’explosive enquête russe, cible des foudres du président américain qui dénonce sans relâche une « chasse aux sorcières ».
Vêtu d’un costume sombre et d’une chemise blanche, l’ancien influent lobbyiste n’a pas dit un mot à son arrivée mardi matin au tribunal d’Alexandria, près de Washington, mais lui et ses avocats apparaissaient détendus. Ses traits creusés et ses tempes blanchies, loin de la silhouette tirée à quatre épingles, mèche soigneusement coiffée sur le côté, qu’il présentait depuis des années à Washington, trahissaient cependant sa chute brutale en disgrâce. Ancien collaborateur des républicains Ronald Reagan et Bob Dole, ex-représentant de sulfureux dirigeants étrangers, Paul Manafort a pris la tête de la campagne de Donald Trump entre mai et août 2016.
Mais si c’est le procureur spécial Robert Mueller, chargé d’enquêter sur les soupçons d’ingérence russe dans la présidentielle américaine, qui l’a mené sur le banc des accusés, la question cruciale d’une possible collusion entre des membres de la campagne Trump et Moscou ne devrait pas être abordée pendant ce procès. Il porte en effet sur des faits antérieurs au passage de Paul Manafort à la tête de l’équipe Trump. A 69 ans, Paul Manafort est accusé de blanchiment ainsi que de fraudes fiscale et bancaire liés à ses activités de lobbyiste pour l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, soutenu par Moscou, et deux partis pro-Ianoukovitch, jusqu’en 2015. Des faits mis à jour par Robert Mueller à la faveur de son enquête russe. Paul Manafort rejette toutes ces accusations. Son procès va démarrer avec la sélection des douze jurés et de leurs suppléants et devrait durer trois semaines.
Un procès qui s’annonce « extrêmement difficile »
Une poignée de manifestants anti-Trump étaient réunis tôt mardi matin devant le tribunal d’Alexandria. « Trump ne passerait pas une seconde en prison pour toi », disait l’un des panneaux brandis. Angelique Brickner, une artiste de 53 ans, était assise au fond d’une salle d’audience pleine en compagnie de sa fille de 17 ans. « Je suis venue ici car je veux voir la justice rendue et prouver à ma fille qu’il existe une justice lorsque le monde va de travers », confiait-elle. « Je pense que l’équipe de Mueller va nous rendre justice, puisque le Congrès n’assure pas son rôle de contrepoids ».
Alors que l’ire du président va crescendo contre les investigations de Robert Mueller, ce procès ultra-attendu embarrasse la Maison Blanche. Paul Manafort « n’a aucune information incriminant le président », a martelé lundi l’avocat de Donald Trump, Rudy Giuliani, sur CNN. Puis d’ajouter, en soulignant la courte durée de son passage à la tête de la campagne: « C’est juste… quatre mois, ils ne vont pas se mettre à comploter sur les Russes ».
30 millions de dollars blanchis
Les procureurs devraient appeler à la barre plus de trente témoins, dont son ancien associé Richard Gates qui coopère avec Robert Mueller depuis qu’il a accepté de plaider coupable en février. Parmi la trentaine d’individus déjà visés par le procureur spécial, dont une majorité de Russes, Paul Manafort est le seul Américain à avoir refusé de passer un accord avec la justice pour éviter un procès. « Manafort est resté loyal » à Donald Trump, souligne Jonathan Turley, professeur de droit à l’université George Washington. Il estime peut-être que ce procès lui permet de préserver « ses chances d’obtenir une grâce » présidentielle, explique-t-il. En attendant cette perspective encore improbable, l’ancien lobbyiste fait face à un procès « extrêmement difficile », poursuit-il.
« Manafort, avec l’aide de Gates, a blanchi plus de 30 millions de dollars de revenus », écrivait Robert Mueller dans son acte d’accusation en février. Fraudant le fisc, le lobbyiste « a dépensé des millions de dollars dans des biens et services de luxe pour lui et sa famille ». Même si seulement l’un des chefs était retenu, Paul Manafort pourrait être envoyé en prison « pendant jusqu’à une décennie », selon Jonathan Turley. Face à un jury qui ne risque pas d’être attendri par le récit de ses dépenses exorbitantes, l’accusation « apportera le coup de grâce » avec le témoignage à charge de Richard Gates, prévoit le professeur.
Paul Manafort doit faire face à un second procès en septembre, à Washington, toujours dans le cadre de l’enquête Mueller qui l’accuse cette fois, notamment, de blanchiment d’argent et de ne pas avoir déclaré ses services de lobbyiste en faveur d’un gouvernement étranger. Il avait été écroué en juin pour tentative de subornation de témoin. A l’époque, Donald Trump avait dénoncé une « peine sévère ».
Mardi matin, le président américain a une nouvelle fois affirmé sur Twitter qu’il n’y avait pas eu de collusion et que de toute façon ce n’était pas un crime. Une ligne de défense utilisée la veille par Rudy Giuliani.
Le Quotidien/AFP