Aux résistants étrangers, la France reconnaissante : le poète apatride Missak Manouchian et 23 de ses compagnons d’armes entrent mercredi au Panthéon à Paris, 80 ans après leur mort, reconnaissance ultime pour ces combattants de l’ombre longtemps oubliés.
« Juifs, Hongrois, Polonais, Arméniens, communistes, ils ont donné leur vie pour notre pays », a salué le président français Emmanuel Macron dans le quotidien L’Humanité. Avec eux, « c’est toute la « résistance communiste et étrangère » qui entre dans le temple des grandes figures de la Nation, rejoignant ainsi Jean Moulin et la résistance gaulliste, honorés dès les années 60.
Le chef de l’Etat signe là sa quatrième panthéonisation après celles de l’écrivain Maurice Genevoix, de Simone Veil, figure de la vie politique française et européenne, et de la star franco-américaine du music-hall Joséphine Baker. Il a aussi annoncé celle de Robert Badinter, qui porta l’abolition de la peine capitale en tant que ministre de la Justice, mort le 9 février.
Comme lors des précédents hommages nationaux, la polémique s’est de nouveau invitée avec la présence annoncée de Marine Le Pen, invitée comme cheffe du groupe du Rassemblement national (extrême droite) à l’Assemblée nationale.
« Inacceptable », « insupportable », déplorent le comité de soutien à la panthéonisation de Missak Manouchian et les familles, qui accusent le Front national, dont le RN est l’héritier, d’avoir été fondé par des « nazis et des collaborationnistes ».
Un couple uni dans la mort
En plein débat sur l’immigration et repli identitaire d’une partie de la société, l’hommage à ces combattants étrangers, « Français par le coeur et le sang versé », est aussi tout un symbole. Cela démontre qu’être Français, « c’est avant tout une affaire de volonté » et que « cela apporte beaucoup au pays », souligne l’Elysée.
Missak Manouchian, d’origine arménienne, et ses camarades ont été fusillés pour 23 d’entre eux le 21 février 1944 au Mont-Valérien, près de Paris. Ils entrent au Panthéon (dont la devise « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante » orne le fronton) 80 ans après, jour pour jour.
A 18h30, les cercueils de Missak Manouchian et de son épouse Mélinée, résistante comme lui et qui lui survécut jusqu’en 1989, vont remonter quelques centaines de mètres jusqu’au Panthéon, portés par des soldats de la Légion étrangère, qui ont aussi fait le choix de la France. Si le couple reste uni dans la mort – ils reposaient tous deux au cimetière parisien d’Ivry – Mélinée n’est pas elle-même « panthéonisée ». Les autres camarades de Manouchian entrent au Panthéon de façon symbolique, avec l’inscription de leur nom sur un plaque.
Comme pour l’entrée de Joséphine Baker en 2021, la cérémonie, qui va durer une heure et demie, comprendra de nombreux flash-backs en images et chansons sur la vie de Missak Manouchian. Le chanteur Patrick Bruel lira la dernière lettre du résistant à sa bien-aimée et le groupe de rock Feu ! Chatterton entonnera « L’Affiche rouge » de Léo Ferré, qui fit entrer le résistant dans la légende.
2 000 invités
A quelques pas de la mort, Missak Manouchian écrivit: « Bonheur à ceux qui vont nous survivre (…) Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement ».
Rescapé des massacres d’Arméniens dans l’Empire ottoman, réfugié en France en 1925, Missak Manouchian rejoint en 1943 la résistance communiste où il s’illustra dans les rangs des Francs-tireurs partisans – Main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI), un réseau alors très actif à Paris. « Enfin on reconnaît au plus haut sommet de l’Etat, l’engagement de ces combattants, ces FTP-MOI qui ont mené la lutte armée en région parisienne », se félicite Denis Peschanski, historien de la résistance étrangère.
Durant le procès de Missak Manouchian et ses camarades, la propagande nazie placarda dans la capitale une affiche avec les photos de dix d’entre eux, présentés comme « l’armée du crime », sur fond rouge, qui donnera son nom à la chanson de Léo Ferré. Quelque 2000 personnes ont été invitées à la cérémonie, dont les responsables du Parti communiste, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian et de nombreux représentants de la communauté arménienne ainsi que 600 élèves.
Mardi soir, plusieurs centaines de personnes se sont aussi réunies au Mont-Valérien, où le cercueil de Missak Manouchian a emprunté, dans une ambiance empreinte d’émotion, le chemin des derniers moments du condamné. Avant de reposer pour la nuit dans la crypte du Mémorial de la France combattante.
Cela évite de parler des révoltes paysannes pendant deux ou trois jours….