Les députés espagnols mettront samedi soir un terme à dix mois de blocage politique en votant la confiance au conservateur Mariano Rajoy, qui garde finalement le pouvoir grâce aux divisions de ses adversaires.
«Chapeau, Monsieur Rajoy», lui a lancé jeudi non sans ironie, depuis la tribune du Congrès, l’élu Joan Baldovi, leader de la plateforme citoyenne de gauche Compromis.
«Vous pourriez être un héros de film. +L’impassible galicien+: sans bouger un muscle, sans presque rien faire, vous êtes sur le point de redevenir président du gouvernement», a-t-il ajouté.
M. Rajoy, 61 ans, au pouvoir depuis 2011, partait de loin: il y a dix mois, deux nouveaux partis faisaient leur entrée au Congrès, le libéral Ciudadanos et Podemos, de gauche radicale, allié du grec Syriza, tandis que sa formation enregistrait son pire score depuis 1993.
Dans son propre camp miné par les affaires de corruption et usé par une dure crise économique, certains assuraient que sa place était «dans l’opposition».
Mais de nouvelles législatives, organisées le 26 juin après plusieurs mois sans qu’un nouveau gouvernement ne puisse être investi faute d’accord entre les partis, ont commencé à inverser la tendance.
Le vent en poupe
Lors de ce scrutin son Parti populaire (PP, droite) a gagné 14 sièges, alors que le Parti socialiste (PSOE), concurrencé par Podemos, poursuivait sa descente aux enfers, avec le pire résultat de son histoire (22,7% des voix).
Pedro Sanchez, dirigeant le PSOE depuis 2014, décidé à tout faire pour chasser M. Rajoy du pouvoir, n’a pas réussi à trouver assez d’alliés pour former un gouvernement alternatif. Il aura finalement été renversé par les siens, qui craignaient que son véto à M. Rajoy n’entraîne encore des élections, les troisièmes en un an, leur faisant perdre encore des voix.
Désormais, Mariano Rajoy a le vent en poupe, assuré d’avoir les voix de son parti (137) et celles de Ciudadanos (32), et aussi la nécessaire abstention d’une partie des 85 élus socialistes.
Mariano Rajoy n’a pas été élu lors d’un premier tour de vote à la majorité absolue organisé jeudi, mais il devrait être investi par une majorité simple des 350 députés samedi soir, lors d’un vote prévu aux alentours de 19h45.
Turbulences
La législature de quatre ans qui l’attend ne sera cependant pas simple car jamais un parti au pouvoir en Espagne n’avait disposé d’aussi peu de soutiens au Congrès: 137 sièges seulement sur 350. On s’attend «à une législature plus turbulente que n’importe quelle autre», estime le professeur de sciences politiques Pablo Simon.
M. Rajoy a donc promis de dialoguer sur des sujets cruciaux pour l’avenir de l’Espagne tels que l’éducation, les retraites, l’emploi ou l’unité du pays menacée par l’indépendantisme catalan.
La tâche sera d’autant plus difficile qu’il doit en principe procéder en 2017 à 5,5 milliards d’économies pour réduire le déficit public de l’Espagne comme promis à Bruxelles. Une rigueur budgétaire qui sera certainement contestée à gauche, car si la croissance pourrait dépasser 3% en 2016, le taux de chômage reste à 18,9%.
La droite n’est pas démunie: le chef du gouvernement disposera de l’arme de la dissolution du parlement en cas de blocage que les socialistes chercheront à éviter à tout prix, ayant besoin de se «reconstruire» avant tout nouveau scrutin, note Pablo Simon. Le gouvernement disposera aussi d’un garde-fou au Sénat, où la droite a une majorité absolue permettant de stopper toute réforme qui lui déplairait, rappelle aussi un sénateur du PP sous couvert de l’anonymat.
La «rue» devrait cependant réagir à de nouvelles mesures d’austérité. Les plus à gauche, dont l’allié de Podemos Izquierda Unida (écolo-communiste), ont déjà appelé à manifester samedi soir aux abords du Congrès des députés contre l’investiture «illégitime» du chef du PP, produit selon eux d’une alliance entre droite et socialistes de l’establishment «corrompu».
Un «coup de la mafia», résume un tract où M. Rajoy est présenté avec un chapeau de gangster, revolver à la main.
Le Quotidien/afp