La mort de 19 personnes dimanche soir devant un stade de football au Caire illustre la conjonction entre la violence récurrente des supporteurs ultras et les habitudes brutales de la police qui réprime régulièrement dans le sang toute manifestation de l’opposition.
Le père d’un supporteur du club de football Zamalek décédé lors de heurts avec la police au Caire. (Photo : AFP)
Selon le gouvernement, les victimes sont mortes écrasées dans une bousculade mais les supporteurs et des témoins accusent les forces de l’ordre d’avoir tiré des grenades lacrymogènes, et même ouvert le feu à coup de chevrotine comme elles le font fréquemment, sur une foule compacte littéralement prise au piège entre des barrières les canalisant vers une entrée du stade. Ce drame survient trois ans après la mort de 74 supporteurs à Port-Saïd, dans le nord, quand la police avait laissé s’affronter les fans de deux clubs rivaux, sciemment selon les supporteurs.
Les policiers avaient alors été accusés de « se venger » ainsi sur des groupes de fans qui avaient pris part à la révolte populaire ayant chassé le président Hosni Moubarak du pouvoir en 2011. Dans la lignée des printemps arabes, la jeunesse égyptienne avait à ce moment déclenché sa « révolution », qui était d’abord dirigée contre une police discréditée par de nombreux abus et violences.
Dimanche soir, le gouvernement avait limité la capacité du stade à 10.000 spectateurs mais les forces de sécurité ont été largement débordées par l’afflux massif de supporteurs, qui ont tenté de forcer les portes du stade, selon les autorités. Le huis clos total imposé sur toutes les rencontres de championnat après la tragédie de Port-Saïd avait été levé en décembre et ce match contre Enppi était le premier auxquels les fans de Zamalek -l’un des clubs les plus populaires d’Egypte- pouvaient assister depuis 2012.
> « Nuque brisée »
Des témoins et des supporteurs ont accusé la police d’être responsable du « massacre », estimant qu’elle avait provoqué la bousculade en tirant des gaz lacrymogènes à outrance contre des spectateurs pris au piège à une entrée du stade. Des photos diffusées par les télévisions montrent une foule comprimée dans ce passage étroit flanqués de barrières métalliques avant le début des heurts. « Dix-neuf personnes ont été tuées », a indiqué à l’AFP le porte-parole du ministère de l’Intérieur Hani Abdel Latif. Vingt-deux policiers ont également été blessés et 18 « émeutiers » ont été arrêtés, a-t-il précisé.
« Les décès sont dus à la bousculade, aucun ne porte de blessure par balle ou plomb », a assuré à l’AFP Khaled al-Khatib, un haut responsable du ministère de la Santé. « Les corps présentent de nombreuses ecchymoses, certains ont la nuque brisée », a-t-il ajouté. Ibrahim, un supporteur, a affirmé à l’AFP que la police avait tiré des gaz lacrymogènes dans le passage après qu’un spectateur eut allumé une fusée éclairante. « Le gaz les a asphyxiés et a provoqué la bousculade, » selon lui.
> « Massacre planifié »
De leur côté, les Ultras White Knights du club de Zamalek ont accusé les autorités de « massacre planifié », affirmant que « la cage métallique dans laquelle la plupart des gens sont morts a été installée un jour avant le match. » Le drame de dimanche intervient alors que la police égyptienne réprime systématiquement et dans le sang les manifestations de l’opposition islamiste mais aussi laïque et libérale.
Depuis que l’ex-chef de l’armée et actuel président Abdel Fattah al-Sissi a destitué l’islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, plus de 1.400 manifestants pro-Morsi ont ainsi été tués, essentiellement par balles et décharges de chevrotine. Le drame de dimanche « a fait voler en éclat tout espoir de voir le gouvernement adopter une approche moins brutale face à ses opposants de la société civile », estime James Dorsey, chercheur et auteur du livre « The Turbulent World of Middle East Soccer ».
Les groupes d’ultras en Egypte sont connus pour leur hostilité vis-à-vis de la police et ils étaient souvent en première ligne ces dernières années lors des manifestations de l’opposition brutalement réprimées. En décembre, le gouvernement avait supprimé le huis clos total sur la plupart des matches de première division et avait rouvert les portes des stades mais en limitant leur capacité à 10.000 spectateurs pour certaines rencontres. Le huis clos avait toutefois été maintenu pour les rencontres opposant entre elles les six équipes phares du championnat égyptien, dont le club cairote de Zamalek. Après la tragédie de dimanche, le gouvernement a annoncé la suspension, sans limite de temps pour l’heure, du championnat d’Egypte.
AFP