Une boulette de cocaïne s’était déchirée dans son ventre: une Martiniquaise de 21 ans est morte d’overdose mi-mars à Paris pour avoir accepté de faire la «mule». La pratique est ancienne mais son renouveau, via une filière antillaise, inquiète les autorités.
D’habitude, c’est de Cayenne, en Guyane, qu’embarque vers l’Europe le plus grand nombre de «mules», ces passeurs qui transportent la cocaïne dans leurs bagages ou même «in corpore», ingérant des dizaines d’«ovules» thermo-soudés. L’étudiante était, elle, partie de Fort-de-France. Après un malaise dans un vol à destination d’Orly, elle décédera à l’hôpital, victime d’une filière antillaise jusqu’ici inconnue.
«Avec un anesthésiant pour la gorge et un verre d’eau, il faut parfois une dizaine d’heures pour avaler ces ovules, gros comme une saucisse apéritif rigide», décrit Stéphane Pichegru, de la direction des douanes. «Très vite, les sucs gastriques attaquent. Ce n’est que quelques dizaines de grammes, mais de coke pure : si ça s’ouvre, c’est irrécupérable», explique cet adjoint au chef de bureau de lutte contre la fraude.
Les volumes ainsi transportés, autour du kilo en moyenne, soit quelques dizaines de milliers d’euros, sont anecdotiques à l’échelle de l’ensemble du trafic. Mais la technique est discrète et efficace: «Vous pouvez avoir quatre ou cinq mules par avion», confie un policier de Seine-Saint-Denis. «Les trafiquants en chargent un peu plus pour attirer les douaniers et faire écran pour les autres», renchérit un avocat de Bobigny, habitué de ces dossiers.
Malgré les risques – l’overdose ou la prison – le voyage, rémunéré 2 000 ou 3 000 euros, suscite des vocations : en 2015, 160 de ces «bouletteux» ont été arrêtés en France. Un net regain par rapport à la petite centaine d’interpellés des années précédentes, selon les chiffres des douanes. Difficile de dire pourquoi : «Certains évoquent le renforcement de contrôles aux frontières qui aurait obligé les trafiquants à scinder leurs envois», rapporte Stéphane Pichegru, peu convaincu par l’hypothèse.
Trafic de fourmis
Pour ses services, les 234 kg de cocaïne retrouvés sur ces «bouletteux» en 2015 sont une goutte d’eau au regard des 17 tonnes de saisies de l’année. Le gros du produit passe par bateaux, conteneurs et valises, en provenance de Colombie ou du Pérou. Mais ce «trafic de fourmis» représente un gros investissement en surveillance, et une préoccupation sanitaire: «Sur cette nouvelle filière antillaise, on a affaire à un conditionnement de moindre qualité et on peut craindre d’autres accidents», avertit Stéphane Pichegru.
Au tribunal de Bobigny, où comparaissent les «mules» interceptées aux aéroports parisiens, «on traite deux à trois cas par semaine, dont la moitié pour du transport in corpore», affirme une procureur.
Devant elle, dans le box des prévenus, deux jeunes Paraguayennes. Venues de Rio de Janeiro, elles ont été arrêtées en août à Roissy, en correspondance pour Florence. Dans leur estomac et leur vagin, 900 g et 1,1 kg de cocaïne répartis dans 60 et 75 ovules qu’elles expulseront au bout de quelques jours de garde à vue à l’hôpital. Leurs passeports étaient flambant neufs. «Pour effacer la trace des précédents voyages», estime la magistrate.
«C’est le dossier typique», assure l’un des avocats commis d’office. Contrairement aux Pays-Bas, où les «mules» sont considérées comme des victimes, l’avocat évoque «le tour de vis répressif» en France. «Les trafiquants le savent et privilégient les vols directs pour Amsterdam», confirment les douanes. «Je vis avec ma mère et mon fils de 3 ans, j’avais beaucoup de dettes», raconte la première des deux Paraguayennes, une couturière de 29 ans, qui a fait une fausse couche en prison. Sa voisine, 21 ans, explique aux juges qu’elle élève seule ses six frères, demande pardon «pour cette erreur» qu’elle «paye cher».
«Elles se présentent comme victimes du trafic et de la pauvreté» mais «elles ont agi en parfaite connaissance de cause, à plusieurs reprises, et couvrent les trafiquants», argumente le parquet qui requiert quatre ans de prison. Elle écoperont de deux ans, «le tarif habituel», commente l’avocat. «Elles seront expulsées à mi-peine. Là-bas, elles retrouveront les trafiquants qui leur diront: Vous vous êtes faites choper, rendez l’argent».
Le Quotidien/AFP