Dilma Rousseff sait se battre. Jeune guerillera marxiste sous la dictature militaire, elle défiait ses juges du regard. Mais 45 ans plus tard, l’impopulaire présidente brésilienne vacille au bord du précipice d’une humiliante destitution.
Son mandat ne tient plus qu’à un fil: par une écrasante majorité, les députés «putschistes» ont ouvert dimanche la voie à son «impeachment» par le sénat qui pourrait l’écarter provisoirement du pouvoir dès le mois de mai.
Fidèle à elle-même, Mme Rousseff, 68 ans avait promis de lutter, avant le vote, «jusqu’à la dernière minute de la seconde mi-temps». Elle va devoir livrer son plus dur et désespéré combat. Née à Belo Horizonte (sud-est) d’un immigrant bulgare et d’une mère professeure, elle est entrée dans l’Histoire en 2011, en devenant la première femme élue présidente du Brésil. «Dilma», comme l’appellent tous les Brésiliens, veut éviter à tout prix d’en sortir comme la deuxième chef de l’État destituée, après le folklorique et corrompu Fernando Collor de Mello en 1992.
«Je ne renoncerai jamais!», répète la dirigeante de gauche, emprisonnée trois ans et torturée sous la dictature et aujourd’hui accusée d’avoir truqué les comptes publics d’un Brésil en crise pour dissimuler l’ampleur des déficits et se faire réélire en 2014. Un prétexte répond-elle, se disant victime d’une tentative de «coup d’État» institutionnel émanant d’une droite revancharde.
Triple crise
Au début de son premier mandat, elle affichait une popularité de 77%. Les Brésiliens avaient appris à apprécier la poigne de cette femme un peu boulotte à l’éternel toupet permanenté. Technocrate peu connue, elle avait été propulsée au pouvoir par son mentor, le président-ouvrier Luiz Inacio Lula da Silva, héros du miracle Socio-économique brésilien des années 2000.
Depuis 2015, Mme Rousseff a vu sa popularité s’effondrer à un plancher historique de 10%. Plus de 60% des Brésiliens souhaitent son départ. Elle se lève tous les matin à 06H00 pour évacuer la pression en pédalant sur son vélo pendant 50 minutes.
Que lui est-il arrivé ?
Depuis sa réélection accrochée en 2014, Mme Rousseff a essuyé une triple tempête simultanée: crise politique, récession économique, scandale de corruption.
Dans un bunker
Lula avait repéré cette économiste pour ses talents de gestionnaire rigoureuse. Il en avait fait sa ministre des Mines et de l’énergie, sa chef de cabinet. Puis son héritière, après qu’un premier scandale de corruption avait décapité son Parti des travailleurs. Elle n’avait jamais été élue avant son arrivée au pouvoir.
Piètre oratrice, autoritaire, réprimant ses ministres en public, affichant un souverain mépris pour un parlement où elle doit composer avec une coalition hétéroclite aujourd’hui en miettes, elle s’est isolée à la présidence comme dans un bunker. Elle s’est coupée du pilier de sa coalition, le PME de son vice-président Michel Temer, las d’avoir été cantonnée depuis 2010 à un rôle «décoratif». Il brigue aujourd’hui son fauteuil.
Politique anti-cyclique
L’économie est la spécialité de Mme Rousseff. Mais alors que l’économie brésilienne ralentissait dangereusement au milieu de son premier mandat, elle s’est entêtée dans une politique anti-cyclique coûteuse. Déficits, dette et inflation ont déraillé avant même le choc de l’effondrement du prix des matières premières.
Pendant sa campagne de 2014, Mme Rousseff jurait pourtant que «tout était sous contrôle». Réélue, elle a aussitôt nommé aux Finances le banquier Joaquim Levy, un économiste orthodoxe, pour tailler drastiquement dans les dépenses, s’aliénant son électorat de gauche.
SOS Lula
Nul n’a jamais mis en doute son intégrité personnelle, fait remarquable dans la politique brésilienne. Et «jamais la justice n’a enquêté aussi librement sur la corruption», plaide-t-elle avec raison. Mais le scandale Petrobras est venu éclabousser de plein fouet son parti, et même Lula. «Elle était au courant de tout et en a bénéficié directement pour le financement de ses campagnes», a accusé le sénateur PT Delcidio do Amaral, inculpé dans le dossier.
Mme Rousseff a toujours juré le contraire, bien qu’ayant été ministre des Mines et de l’Énergie et présidente du conseil d’administration de Petrobras sous Lula. Ne sachant plus comment s’en sortir, Mme Rousseff a appelé Lula à la rescousse en mars. Si elle échappe par miracle à la destitution et que la justice autorise finalement Lula à quo-diriger le Brésil avec elle comme quasi-Premier ministre, l’honneur sera sauf.
Le Quotidien/AFP