Le pape François a dénoncé dimanche à Madagascar la « culture du privilège » devant près d’un million de personnes venues des quatre coins du pays pour assister à une messe géante en lisière de la capitale Antananarivo.
Organisée sur le site de « Soamandrakizay » (« Un bien pour l’éternité » en langue locale), un ancien vignoble de 60 hectares spécialement aménagé, la célébration a rassemblé « autour d’un million de personnes », s’est réjoui un porte-parole du Vatican. Sur l’immense terrain proche de la capitale, les fidèles ont attendu pendant de longues heures le pape assis sur des bâches en plastique, se protégeant tant bien que mal de la poussière rouge de la terre balayée par le vent qui s’infiltrait dans les yeux et les narines.
Parés de chapeaux jaunes et blanc à l’effigie de François, ils ont salué dans la ferveur le souverain pontife, arrivé sur le site à bord d’une « papamobile » fabriquée à Madagascar. Au premier rang, juste devant la tribune, les « VIP » endimanchés bénéficiaient de confortables chaises protégées de bâches blanches. L’homélie du pape a semblé s’adresser d’abord à eux, nantis d’un pays dont les neuf dixièmes des 25 millions d’habitants survivent avec moins de deux dollars par jour.
Il ne faut pas « manipuler l’Evangile » mais « construire l’histoire dans la fraternité et la solidarité, dans le respect gratuit de la terre et de ses dons contre toute forme d’exploitation », a-t-il dit. François s’en est pris « à certaines pratiques qui aboutissent à la culture du privilège et de l’exclusion », critiquant tous ceux qui pensent que « la parenté devient la clé décisive et déterminante de tout ce qui est juste et bon ».
Devant la foule, pour qui le consumérisme constitue un rêve inaccessible, le pape a souligné que les richesses ne permettaient pas forcément de se rapprocher de Dieu. Et de dénoncer « la course à l’accumulation » qui devient « étouffante et accablante », « aggravant l’égoïsme et l’utilisation de moyens immoraux ».
« Des pistons partout pour réussir sa vie »
Ses propos ont été bien accueillis par les fidèles. « Je suis tout à fait d’accord avec le Saint Père, tous les enfants de Dieu devraient être égaux en tout point », a estimé Soa Clara, 21 ans. « Le Pape a évoqué le mal de ce pays, il faut avoir des pistons partout pour réussir dans la vie. Vos diplômes ne sont pas suffisants pour réussir », a renchéri Mathilde Vero, 39 ans, mère de deux enfants.
Elu à la tête du pays en décembre dernier, le président Andry Rajoelina, qui a assisté à la messe du pape avec son épouse, a assuré lui aussi « souscrire » à son message. « En tant que chrétien et homme d’Etat, je mène un combat sans relâche contre la corruption, la pauvreté et les maux qui minent Madagascar », a-t-il écrit sur son compte Twitter, « avec le gouvernement, nous agissons d’abord pour les faibles ».
Une attente considérable à Madagascar
Madagascar figure au 152e rang sur 180 dans le classement de la perception de la corruption de Transparency International. Samedi, lors d’une rencontre avec les autorités politiques et civiles du pays, le pape avait déjà appelé à lutter contre « la corruption et la spéculation qui augmentent la disparité sociale », évoquant « la grande précarité » parfois « inhumaine » de la population de l’île. Depuis son arrivée dans le pays, une foule ardente guette le passage de la voiture du pape à chacun de ses déplacements, le long de routes accidentées le long de rizières, bordées de fours à briques artisanaux et de modestes étals de fruits. L’instabilité politique du pays a freiné son développement économique, essentiellement basé sur l’agriculture, avec notamment l’exportation de la vanille et du cacao.
A Madagascar, cinquième plus grande île du monde (587.000 km2), beaucoup d’habitants ne mangent pas à leur faim et ne vont pas à l’école. Dans cette île majoritairement chrétienne qui compte un tiers de catholiques, les institutions religieuses jouent un rôle fondamental dans l’éducation et la santé. Dimanche après-midi, le pape est attendu dans la cité d’Akamasoa (« Bons amis » en malgache). Son fondateur, le père Pedro, Argentin comme le pape, a sorti des milliers de personnes de la misère en créant sur les immondices d’une ancienne décharge une ville de 25 000 habitants. Figure incontournable du catholicisme à Madagascar, le père Pedro, 71 ans, y est considéré comme « le bras de Dieu » voire « le deuxième pape » par ceux qui lui doivent une vie meilleure.
AFP