Détruire le patrimoine culturel du peuple syrien, c’est participer à sa destruction, affirme l’historien et archéologue français Maurice Sartre, spécialiste de la cité antique de Palmyre en Syrie, dont le groupe Etat Islamique a rasé l’un des joyaux, le temple de Bêl.
Quel est votre sentiment après ces nouvelles destructions ?
Maurice Sartre : Mon sentiment personnel, c’est celui d’une immense colère. Colère contre Daech (acronyme en arabe du groupe Etat islamique, ndlr) bien sûr – mais je n’attendais rien d’autre de leur part -, mais aussi colère contre l’ensemble des dirigeants politiques européens et américains qui restent quasi-immobiles.
Il est clair que les moyens mis en œuvre (par les occidentaux) sont dérisoires par rapport aux enjeux, et je ne pense pas d’abord aux ruines et au patrimoine, bien que ce soit extrêmement important parce que c’est aussi la mémoire d’un peuple qu’on est en train d’effacer. Je pense d’abord aux gens parce que ce qu’endurent les populations sous la coupe de Daech, c’est au delà de l’imaginable. En ne faisant rien, nous sommes complices de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité.
Que pensez-vous de ceux qui disent qu’on se mobilise avantage pour des ruines que pour les populations civiles ?
Ce discours-là, je l’ai toujours entendu. Nous, archéologues, nous avons alerté depuis mars 2011 sur les dangers que couraient les populations. On ne nous a pas écoutés et quand on vient aussi défendre le patrimoine, on nous accuse de le défendre avant les populations. C’est un faux débat encore une fois, détruire le patrimoine culturel d’un peuple, c’est aussi participer à sa destruction. Bachar al-Assad l’a très bien compris en détruisant la vieille ville d’Alep ou la mosquée des Omeyades : il s’agit bien de punir. Pour protéger les populations, il faut aussi défendre leur patrimoine.
En quoi le site et la culture de Palmyre sont-ils particulièrement importants ?
C’est important d’abord sur le plan de l’esthétique: si demain vous appreniez qu’on a fait sauter le Mont Saint-Michel, vous ne demanderiez pas à un médiéviste en quoi c’est important. C’est important parce que c’est beau, c’est un des plus beaux sites archéologiques du monde, pas seulement de Syrie ou de Méditerranée.
De plus, c’est un site extrêmement important sur le plan de l’histoire parce qu’il est au carrefour de toute une série d’influences. C’est le type même de site métisse avec un mélange des cultures tout à fait impressionnant, d’influences du monde gréco-romain, de la Syrie des sédentaires, celle qui est le plus à l’ouest, de la Mésopotamie et aussi du monde des nomades, du monde arabe.
C’est un site plutôt bien conservé mais moins qu’il n’y paraît, on ne voit qu’une toute petite partie de la ville antique. Il y a de grandes étendues qui n’ont jamais été fouillées, on en connaît 10%, sans parler des nécropoles tout autour qu’on est loin d’avoir explorées. On peut faire confiance à Daech pour faire les trous nécessaires et revendre les antiquités.
La stratégie de Daech, c’est de détruire ce qu’il ne peut pas emporter et ce qu’il faut pour narguer l’Occident, et de revendre le reste. C’est sa deuxième source de revenus après le pétrole.
AFP / S.A.
Un joyau de l’Humanité
Le groupe Etat islamique (EI) a rasé le joyau de l’Humanité que représentait le temple de Bêl dans la cité antique de Palmyre en Syrie, et les experts sont convaincus que la rage destructrice des jihadistes se poursuivra.
« Ils ont tué Palmyre », s’est lamenté mardi le directeur des Antiquités de Syrie, Maamoun Abdelkarim, après la diffusion dans la nuit de photos satellitaires de l’ONU confirmant la destruction du plus grand temple du site. « Il s’agissait du plus beau symbole de toute la Syrie. Et nous l’avons perdu à tout jamais », a-t-il ajouté, en y voyant « le dernier acte avant la destruction complète de Palmyre ».
Lundi soir, l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (Unitar) a déclaré pouvoir « confirmer la destruction du bâtiment principal du temple de Bêl ainsi que celle d’une rangée de colonnes qui le jouxte », après avoir comparé des images satellite avant et après l’explosion. Sur une image datée du 27 août, une structure rectangulaire entourée de colonnes est clairement visible, alors que sur un autre cliché pris lundi, on ne distingue plus que quelques colonnes, en bordure du site.
Ce temple érigé il y a 2 000 ans est le plus connu des monuments de la ville antique, qui figure au Patrimoine mondial de l’Humanité de l’Unesco et qui était visité avant la guerre par 150.000 touristes chaque année. L’EI, qui a profité de la guerre civile pour s’implanter en Syrie, s’était emparé le 21 mai de Palmyre, à 205 km à l’est de Damas, après en avoir chassé les forces gouvernementales, suscitant aussitôt la crainte pour l’avenir du patrimoine syrien.