Elie Buzyn, l’un des derniers grands témoins français d’Auschwitz, est mort lundi matin à l’âge de 93 ans, a annoncé sa fille, l’ancienne ministre Agnès Buzyn à l’AFP.
Elie Buzyn « a transmis le relais avec une constance et une détermination incroyable jusqu’au bout », a affirmé à l’AFP le grand rabbin de France Haïm Korsia. « Immense témoin de la Shoah et infatigable combattant de la mémoire », a salué sur Twitter Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif).
Longtemps, comme beaucoup de rescapés des camps, il s’est tu et n’a pas voulu retourner à Auschwitz. Puis il s’est employé à transmettre la mémoire de la Shoah, appelant les jeunes à être « des témoins des témoins ». Avec ses compagnons survivants de l’horreur, ce médecin né le 7 janvier 1929, père de l’ancienne ministre française de la Santé Agnès Buzyn, s’était fait une promesse: « Tenir tant qu’on peut ». Son frère Avram avait été fusillé en mars 1940 par les nazis pour dissuader toute tentative de fuite du ghetto juif de Lodz (Pologne), où la famille Buzyn avait été parquée.
« En 1944, on savait vaguement que l’Armée soviétique arrivait par l’Est. Il y avait un petit espoir que ça se termine », confiait-il à l’AFP en 2015. « On nous a dit qu’on allait dans un autre camp de travail, où les conditions seraient bien meilleures ». Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, suivie de l’arrivée sur les quais de tri du camp d’extermination de Birkenau (Auschwitz-II).
« Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé: +Dis que tu as 17-18 ans !+. Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé ». L’adolescent est jugé apte au travail forcé. Plus tard, « en 30 secondes », il a « su ce qui s’était passé » pour ses parents, assassinés dans les chambres à gaz.
Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime l’ordre d’évacuer Auschwitz par une de ces « marches de la mort » où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque. Après trois jours et deux nuits, les déplacés sont entassés dans un train vers Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins.
Confié parmi des centaines d’adolescents à l’Oeuvre de secours aux enfants (OSE) en France, organisation dont il sera plus tard un pilier, Elie Buzyn fera bien des détours avant de revenir s’installer à Paris: sept ans dans une Palestine encore sous mandat britannique puis érigée en Etat d’Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie)… En 1956, c’est le retour définitif en France, où il deviendra chirurgien orthopédique et épousera une psychanalyste de renom, Etty Buzyn (née Wrobel), spécialiste de la petite enfance. Elie Buzyn fera enlever chirurgicalement son tatouage de déporté, comme pour effacer ce traumatisme de sa mémoire. « Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours », dit-il.
Un demi-siècle après le génocide, son fils âgé d’une vingtaine d’années lui dit: « Je veux aller à Auschwitz voir où mes grands-parents paternels ont disparu. Je comprends que ce soit trop dur pour toi. J’irai seul, avec un groupe ». « Dans la minute je lui ai dit: « Si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi » », confiait le Dr Buzyn.
Dès lors, il a considéré comme « un devoir » que de témoigner dans les écoles et à Auschwitz, avec les groupes conduits chaque année par le grand rabbin de France Haïm Korsia. Elie Buzyn y a emmené ses enfants, et plusieurs de ses huit petits-enfants, quand ils avaient passé l’âge de quinze ans. Il demeurait convaincu que tous ceux qu’il avait aidés à approcher l’horreur des camps allaient « devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins ».