Près de 450 pages d’anecdotes et de confidences accablantes : le livre du journaliste d’investigation Bob Woodward sur Donald Trump dresse le portrait d’un président inculte, colérique et paranoïaque que ses collaborateurs s’efforcent de contrôler pour éviter les pires dérapages.
Si plusieurs ouvrages peu flatteurs pour le 45e président des États-Unis ont déjà été publiés, le sérieux et la réputation de Woodward, célèbre à travers le monde pour avoir révélé, avec Carl Bernstein, le scandale du Watergate qui a contraint Richard Nixon à la démission, donnent à celui-ci un écho particulier.
« C’est juste un autre mauvais livre », a réagi Donald Trump dans un entretien au Daily Caller, dénonçant des histoires colportées par d’anciens membres de son équipe mécontents ou « tout simplement inventées par l’auteur ». « Woodward est-il un agent démocrate ? Vous avez noté le calendrier ? », a-t-il tweeté un peu plus tard, évoquant l’approche des élections législatives du 6 novembre, à l’issue desquelles les républicains redoutent de perdre la Chambre des représentants.
The Woodward book has already been refuted and discredited by General (Secretary of Defense) James Mattis and General (Chief of Staff) John Kelly. Their quotes were made up frauds, a con on the public. Likewise other stories and quotes. Woodward is a Dem operative? Notice timing?
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 4 septembre 2018
Les extraits publiés par plusieurs médias américains renvoient l’image – déjà décrite par d’autres – d’une Maison Blanche dysfonctionnelle dont les acteurs n’ont que peu d’estime pour l’occupant du Bureau ovale. A l’issue d’une rencontre entre Trump et son équipe de sécurité nationale à propos de la présence militaire sur la péninsule coréenne, le ministre de la Défense, Jim Mattis, particulièrement exaspéré, aurait dit à des proches que le président se comportait comme un « élève de CM2 ou de 6e » (10 à 11 ans, NDLR).
Bachar al-Assad, « tuons-le bordel ! »
Toujours selon les éléments rassemblés par Bob Woodward, après l’attaque chimique d’avril 2017 attribuée au régime de Bachar al-Assad, Trump aurait appelé le général Mattis et lui aurait dit qu’il souhaitait assassiner le président syrien. « Tuons-le bordel ! Allons-y ! On leur rentre dedans et on les bute », aurait-il déclaré. Après avoir raccroché, Mattis se serait tourné vers un conseiller et aurait dit : « Nous n’allons rien faire de tout cela. Nous allons être beaucoup plus mesurés ». Dans un texte diffusé dans la soirée, Jim Mattis n’a pas contesté cet épisode en particulier. Mais il a affirmé n’avoir jamais prononcé « les mots méprisants » qui lui sont attribués à l’encontre du président, déplorant le recours aux sources anonymes qui affaiblit la crédibilité de ces écrits.
Le livre, qui doit prochainement être traduit en français, décrit aussi longuement la frustration récurrente du secrétaire général de la Maison Blanche, John Kelly, qui est traditionnellement l’homme le plus proche du président au sein de la « West Wing ». Lors d’une réunion en petit comité, il aurait ainsi affirmé, à propos de Donald Trump : « C’est un idiot. C’est inutile d’essayer de le convaincre de quoi que ce soit. Il a complètement déraillé. On est chez les fous. Je ne sais même pas ce que nous faisons là ». Dans une brève réaction, Kelly a assuré n’avoir jamais qualifié le président d’idiot et réaffirmé son engagement à ses côtés.
Subterfuges en tous genres
Bob Woodward relate par le menu les subterfuges utilisés par l’entourage du président de la première puissance mondiale pour éviter qu’il ne prenne des décisions à l’emporte-pièce. Selon l’ouvrage explosif, son ancien conseiller économique Gary Cohn a ainsi « volé une lettre qui se trouvait sur le bureau de Trump » que le président avait l’intention de signer et qui visait à officiellement retirer les États-Unis d’un accord commercial avec la Corée du Sud. Cohn a ensuite expliqué à un proche qu’il l’avait fait au nom de la sécurité nationale et que le magnat de l’immobilier n’avait jamais remarqué qu’elle était manquante.
Autre sujet incontournable lorsque l’on se penche sur la présidence Trump : les tweets. « C’est une bonne chose, mais c’est un peu dommage parce que j’étais l’Ernest Hemingway des 140 caractères », aurait déclaré le président à un conseiller lorsque le réseau social a fait passer sa limite de 140 à 280 caractères.
L’auteur affirme avoir cherché, sans succès, à interroger Donald Trump pour ce livre. Il précise que le locataire de la Maison Blanche l’a appelé mi-août, alors que le manuscrit était terminé. Le Washington Post publie l’enregistrement de la conversation entre les deux hommes, au cours de laquelle Trump affirme que personne ne lui a fait passer le message du journaliste et assure qu’il aurait « adoré lui parler ».
« Vous savez que je fais un travail extraordinaire pour le pays (…) Vous comprenez tout ça ? Enfin j’espère », lance-t-il au milieu de cet étonnant dialogue où il donne, par moments, l’impression d’être résigné.
LQ/AFP