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Daech n’est pas mort, mais son rêve d’État est enterré


Le drapeau noir flottait dans toutes les villes sous le contrôle de l'EI. Une image qui appartient au passé. (photo archives AFP)

Son « califat » n’aura pas tenu quatre ans, ses « capitales » en Irak et en Syrie sont tombées, des centaines de ses combattants se sont rendus ou enfuis : Daech (EI) n’est pas encore mort mais son rêve d’ « État », lui, est déjà enterré.

Hicham al-Hachemi, spécialiste irakien des mouvements extrémistes est catégorique : plus personne dans la mouvance jihadiste « ne pensera désormais à imposer le territoire du califat ».

En 2014, le « calife » autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi régnait sur sept millions d’habitants dans un territoire grand comme l’Italie englobant de larges pans de la Syrie et près d’un tiers de l’Irak. Ce nouveau « califat » attirait alors des milliers de jihadistes venus du monde entier, avec femmes et enfants. Raqqa, en Syrie, devenait la « capitale » de facto, et Abou Bakr al-Baghdadi faisait son unique apparition publique dans une mosquée de Mossoul, deuxième ville d’Irak et grand carrefour commerçant du Moyen-Orient.

Terres et revenus perdus

Daech avait aussi mis en place une machine de propagande sophistiquée et en plusieurs langues, avec des magazines en ligne, des chaînes de radio et des campagnes sur les réseaux sociaux où il mettait en avant ses prouesses militaires et ses tactiques effroyables.

Dans toutes les villes sous le contrôle de l’EI, son drapeau noir flottait au-dessus de bâtiments d’une nouvelle administration aux noms empruntés à celles des premiers temps de l’islam. Les tribunaux, hôpitaux et autres administrations sous son joug délivraient même des certificats de naissance ou de mariage ou des verdicts et autres arrêtés sur des papiers à en-tête, noir lui aussi.

Moins de quatre ans plus tard, au terme de longs combats, Daech a perdu la quasi-totalité de son territoire et les précieux revenus des champs de pétrole dont il s’était emparé.

« Au cours de ces batailles, notamment à Mossoul, un nombre important de jihadistes sont morts », note Kirk Sowell, qui publie Inside Iraqi Politics. « Et suite aux défaites, beaucoup se sont rendus », abandonnés par leurs commandants partis plus tôt se réfugier plus loin. D’autres encore, « ont fui le pays ou essayent de se mélanger à la population » en tentant de faire oublier leur passé d’exactions, affirme ce spécialiste de la politique irakienne.

Après ces lourdes pertes, « même ce qui pourrait rester de l’EI ne va pas penser à revenir » à cette idée de contrôle militaire, et même administratif d’un territoire, assure Hicham al-Hachemi. D’ailleurs, poursuit l’expert, l’organisation en déroute s’est déjà repliée en Irak dans « 4% du territoire : des oueds, des oasis et des étendues désertiques » sans aucune population, le long de la frontière poreuse avec la Syrie en guerre, où elle est aussi acculée dans des réduits chaque jour plus étroits.

Face à lui, en plus des armées irakiennes et syriennes, il a coalisé une myriade de forces, soutenues par la Russie, les États-Unis ou l’Iran, parfois antagonistes et ayant des intérêts dans les différents conflits régionaux.

L’héritage de Ben Laden

Et, sa puissante machine de propagande semble régresser, avec notamment un changement de ton, aux accents nostalgiques. « Le projet du califat s’est heurté aux réalités géopolitiques », résume Karim Bitar, spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut des affaires internationales et stratégiques de Paris.

De ce fait, « la galaxie jihadiste internationale va probablement revenir à sa stratégie antérieure de déterritorialisation et préférer frapper de nouveau ‘l’ennemi lointain’ en faisant des coups d’éclat en Occident ou en Russie pour montrer qu’il faut toujours compter avec elle », ajoute Karim Bitar.

Et cette « galaxie » a déjà une nouvelle tête de proue. Daech était né des cendres de l’État islamique en Irak et d’al-Qaïda avant lui.

Aujourd’hui, alors que son « califat » est en lambeaux, une nouvelle organisation commence à émerger, affirme Hicham al-Hachemi. « La plupart des vétérans de l’EI et d’al-Qaïda en Irak commencent à se regrouper en Syrie », où de nombreuses zones sont encore aux mains de différents groupes jihadistes, explique-t-il. Ces combattants, « les plus endoctrinés et des plus disciplinés », sont en train de constituer depuis septembre « le groupe Ansar al-Fourqan, dirigé par Hamza Ben Laden », considéré comme le fils préféré du chef d’al-Qaïda, tué lors d’un raid américain en 2011 au Pakistan, mais dont le nom continue d’attirer des recrues.

Le Quotidien/AFP