Un tribunal français a renvoyé mercredi Air France et Airbus en procès pour « homicides involontaires », douze ans après le crash du Rio-Paris, une décision qui a provoqué l’émotion des représentants des familles des 228 victimes, même si la tenue du procès reste suspendue aux recours en cassation.
Le 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris s’était abîmé au milieu de l’Atlantique. Les pilotes, désorientés par une défaillance technique en traversant la zone météorologique instable du Pot au noir, n’avaient pu rattraper le décrochage de l’A330, entraînant la mort des 216 passagers et 12 membres d’équipages. L’épave et les boîtes noires avaient été retrouvées deux ans plus tard, à près de 4 000 m de fond.
Le 29 août 2019, après dix ans de batailles d’experts, les juges d’instructions avaient ordonné un non-lieu général, estimant que les investigations n’avaient pas établi « un manquement fautif d’Airbus ou d’Air France en lien (…) avec les fautes de pilotage (…) à l’origine de l’accident ».
Mais dans un considérable revirement, la cour d’appel de Paris a annulé mercredi cette décision initiale, qui avait scandalisé les familles et les syndicats de pilotes. A l’annonce du délibéré, les proches des victimes présents se sont étreints en larmes, soulagés. « C’est une immense satisfaction d’avoir le sentiment d’avoir enfin été entendus par la justice », a déclaré, très émue, la présidente de l’association Entraide et Solidarité AF447, Danièle Lamy. « A la cérémonie du 1er juin 2021, on pourra enfin dire à nos disparus qu’on est allés au bout de ce qu’on pouvait faire et qu’enfin leur mémoire va être respectée », a-t-elle ajouté. « J’avais promis à mon fils », disparu dans l’accident, « que j’irais jusqu’au bout. Je me suis investie pendant ces 12 années sans compter, on n’a plus de vie, c’est pareil pour les 228 familles ».
Défaillances « sous-estimées »
Satisfaction aussi du côté du syndicat national des pilotes de ligne, partie civile : jusqu’ici, « on avait accusé les pilotes et dégagé le constructeur et l’entreprise de toute responsabilité », a souligné un porte-parole, pour qui « les instruments n’ont pas fonctionné comme ils auraient dû ».
De leur côté, les avocats d’Airbus, Simon Ndiaye et Antoine Beauquier, ont immédiatement annoncé un recours en cassation, dénonçant une « décision injustifiée », « en contradiction avec les juges d’instructions qui connaissaient bien le dossier ». Air France « maintient qu’elle n’a pas commis de faute pénale à l’origine de cet accident aussi tragique soit-il », a réagi la compagnie, qui entend aussi former un pourvoi.
A l’appui des parties civiles, le parquet général avait réclamé ce procès à l’audience du 4 mars. Sans minorer la « cause directe imputable à l’équipage », l’avocat général a estimé que les dirigeants d’Air France « se sont abstenus de mettre en œuvre la formation et l’information des équipages » nécessaire, tandis qu’Airbus a « sous-estimé la gravité des défaillances des sondes » de vitesse Pitot et n’a pas suffisamment agi pour corriger ce dangereux défaut. Ces défaillances s’étaient multipliées dans les mois précédents l’accident. Le givrage de ces sondes fut l’élément déclencheur de la catastrophe. Causés par la formation de cristaux de glace lors d’un passage à haute altitude dans un amas de cumulonimbus, l’incident avait conduit à une incohérence des mesures de vitesse et désorienté les pilotes jusqu’au décrochage fatal en moins de 4 minutes.
Air France et Airbus ont déjà comparu en France devant un tribunal, dans le dossier du crash d’un A320 au Mont-Saint-Odile, qui avait fait 87 morts et neufs rescapés en janvier 1992 près de Strasbourg. La compagnie et le constructeur avaient été relaxés au pénal.
LQ/AFP